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LA BREBIS SUR LA MONTAGNE

— Comment ! une choriste troubler le sommeil de l’un des plus puissants seigneurs de la cour de Naples, de l’unique et dernier rejeton de la famille Antivalomeni ! Carlo, monte chez cette choriste, et fais-lui savoir qu’elle ait à cesser ses cris à l’instant même, si elle ne veut encourir le ressentiment du prince Agnolo-Bernardo Antivalomeni.

Le domestique sortit et reparut au bout de quelques instants :

— Je viens d’exécuter les ordres de Votre Excellence ; mais la signora Barati, quand je lui ai parlé de garder le silence, m’a répondu : — Dites à l’unique et dernier rejeton de la famille Antivalomeni qu’il en parle bien à son aise, mais que si je cesse un seul jour de filer des sons et d’exercer mon gosier, ma voix se rouillera et mon imprésario me donnera mon congé. Ce que le prince a de mieux à faire est donc de s’apprivoiser avec mes cris, qui sont la seule ressource de sa très-humble servante.

En ce moment, une gamme chromatique partie du dernier étage de l’hôtel Antivalomeni vint confirmer les paroles de Carlo.

— Encore ! s’écria le prince. Ah ! c’est trop fort, et s’il y a une justice dans le royaume de Naples, j’aurai avant peu raison de cet insolent gosier.

Le fidèle Carlo apporta aussitôt au prince sa plus large perruque, sa plus longue canne, ses bas de soie les mieux brodés ; après quoi l’unique et dernier rejeton de la famille Antivalomeni s’élança de la rue de Tolède, où son hôtel était situé, sur la place du Palais-Royal. Il se fit introduire près du seigneur Caro Cecchi, intendant des menus-plaisirs du roi, son ami intime, auquel il raconta ses peines.