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QUE DEUX ÉCHASSES.

Il prit, à ces mots, une espèce de volume recouvert en parchemin, et sur les pages duquel, parmi des plans de toutes sortes, on trouvait en effet quelques sentences de philosophie pratique.

L’une d’elles était ainsi conçue :


« Méfions-nous de tout ce qui grandit d’une grandeur factice ; méfions-nous des échasses sociales sans lesquelles les autres hommes seraient nos égaux.


« Une particule nobiliaire est une échasse ; échasse encore la protection d’un ministre. L’héritage d’un nom célèbre, une fortune que vous trouvez en naissant sous l’oreiller brodé de votre berceau, la préférence d’une jolie femme en crédit, l’amitié d’un grand seigneur, — si tant est qu’il y ait encore des grands seigneurs, — autant d’échasses que tout cela.


« La plupart sont bien fragiles, hélas ! et le sage doit toujours se tenir prêt au moment où elles se brisent. La moindre faculté personnelle, la moindre force inhérente à l’individu, est bien autrement solide, bien autrement désirable que les plus rares prodigalités du hasard. En d’autres termes, et comme dit le proverbe :

Un pied vaut mieux que deux échasses

— De fait, Messieurs, continua Genilhac, vos échasses sont brisées… et mon pied me reste.