Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
IL TE CRÈVERA LES YEUX.

grenadier. Quand elle le rencontrait, Lucy s’écartait de son chemin.

— Vous n’aimez pas mon pauvre Snag, lui disait parfois Robert.

— Ce n’est pas mon cousin, répondait en souriant l’aimable fille à qui l’amour enseignait la coquetterie.

— Vous qui êtes si bonne pour tous, pourquoi êtes-vous dédaigneuse pour lui seul ?

— Oh ! Robert, ne m’en veuillez pas ! s’écriait alors Lucy. J’ai froid au cœur quand le regard de Snag s’arrête sur moi ; son sourire est amer comme une raillerie, et lorsque dans mes promenades j’entends sa voix, je tressaille comme au cri de l’orfraie.

Cependant, tandis que Snag gagnait de plus en plus la confiance de son maître, des vols étaient chaque jour commis à la ferme. Tantôt un mouton disparaissait, tantôt un bœuf ne rentrait pas à l’étable ; les lavandières cherchaient vainement les plus belles pièces de toile étendues le soir sur l’herbe des prairies. Mille rumeurs circulaient parmi les gens de la ferme à l’heure du repas, les vieux pâtres se parlaient bas à l’oreille en regardant Snag ; mais Snag demeurait dédaigneux et muet, et nul n’osait dire ses soupçons à Robert Effing.

Parfois Snag s’éloignait aux premières clartés du jour, et ne rentrait qu’après le soleil couchant. Il était alors tout trempé de sueur, et semblait avoir fourni une longue carrière dans les halliers et les marécages, tant ses habits étaient souillés de fange et ses jambes déchirées par les ronces.

Lorsque Robert lui demandait d’où il venait, Snag