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UN PIED VAUT MIEUX

Ce soir-là, il défendit Rousseau, dont les convives avaient parlé avec le sans-façon de gens obligés par système à vanter tout haut le philosophe de Genève. On s’était moqué de l’Émile, et M. de Genilhac, sans repousser toutes les critiques dont ce livre avait été l’objet, soutint qu’il renfermait des conseils réellement bons à pratiquer.

— Vraiment ! — s’écria le marquis de Sillery, d’un ton léger ; — ne pensez-vous pas qu’il nous eût servi à quelque chose, en notre jeune âge, d’apprendre à manier la truelle ou le rabot ?

— À fabriquer des souliers ? ajouta M. de Montelar.

— Ou même à pétrir ces jolies choses, — dit encore M. de Valbenne, en montrant du bout des doigts à l’assemblée une de ces timbales de confitures, qu’on appelait alors des puits d’amour.

— Pourquoi pas ? — reprit Genilhac quand on lui laissa la parole ; — vous êtes tous, Messieurs, fort en règle du côté des parchemins ; vos familles sont riches, vos apparentages sont puissants ; rien ne vous manque de ce qui élève un homme au-dessus des autres ; il est naturel que vous vous jugiez dispensés de travailler comme eux et pour eux. Mais prenez garde : tout ce qui vous fait grands est en dehors de vous ; le sort, qui a détruit de plus hautes fortunes, peut mettre à bas et vos priviléges de caste, et votre richesse héréditaire, et votre crédit à la cour ; en un mot, toutes les conditions extérieures de votre élévation. Bien heureux alors celui d’entre vous qui aura pour les remplacer un de ces talents modestes dont vous rougiriez aujourd’hui.

Ces paroles, qui étaient très-banales pour le temps, et