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DE MAIGRE POIL

vous rappeler la valeur, pour ne pas ajouter à vos déboires. Mais, si je ne vous dis pas ce qu’il vous a coûté, je puis au moins vous dire ce qu’il vous rapporte ; c’est le très-sincère mépris du petit monstre pour lequel vous vous ruinez. Tonina, maintenant que, grâce à vous, elle fait une espèce de figure, trouverait charmant de vous planter là sans vous avoir rien accordé, pour un homme qui n’attendît pas sa fortune d’un coup de dé ou d’un heureux paroli.

En revanche, — et c’est le plus piquant de votre histoire, — avec beaucoup moins de tourments et de dépenses, jeune et bien fait comme vous l’êtes, vous pouviez aspirer aux plus beaux succès. La comtesse, oui, la comtesse elle-même, — bien qu’elle ne soit pas à vendre, — eût accepté vos soupirs si, courageux à propos, vous eussiez fait pour elle, au carnaval dernier, la moitié des folies auxquelles vous a induit une créature qu’il ne faut pas même songer à lui comparer. Remarquez que je ne vous parle point de la Baletti, de la Ramon, de la Steffani, de la Papozze ; quels que soient leur vogue et leur renom, la plus huppée d’entre elles sait trop bien ce qu’elle vaut au fond pour imposer des conditions très-sévères. Avec une pluie d’or comme celle qui vous a ouvert les portes du grenier où végétait Tonina, je me serais fait fort de pénétrer chez toutes les Danaé du corps de ballet.

Casanova, se levant alors de son fauteuil, se promena par la chambre en agitant son mouchoir imprégné d’essence.

— Sachez, carino, continua-t-il d’un ton protecteur, qui me déplut horriblement, sachez une fois pour toutes que, dans la vie, on se trouve toujours bien d’avoir affaire aux marchands enrichis, danseuses ou non ; leur position