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ÂPRE MORSURE.

— Souffrez, reprit-il après avoir joui de mon embarras, souffrez qu’on instruise votre jeunesse. Laissons là votre tapissier, qui est un friponneau, et qu’il faudra rouer de coups de canne quand vous lui aurez jeté son argent à la figure ; puis dites-moi, s’il vous plaît, quel maladroit ami vous a guidé dans nos coulisses ? Autant aurait valu tout d’abord vous mener en pleine Calabre. Cependant, il y a danseuse et danseuse, comme il y a tapissier et tapissier, comme il y a bandit et bandit :

— par quels motifs avez-vous préféré la Tonina ?

— Eh ! mais, repris-je, a-t-on des motifs ?…

— Avoués ou secrets, on en a toujours. Comme je ne vous vois pas très-disposé à vous confesser, je vais continuer mon rôle de nécroman. Lorsque vous avez porté votre hommage à cette petite fille, brune et maigre comme un clou de girofle, vous n’avez cédé ni à l’attrait fort médiocre de sa danse effrontée, ni à celui de ses petits yeux noirs passablement dépareillés. Vous n’aviez pas l’ombre d’un penchant pour elle, et je n’en veux d’autre preuve que la belle ardeur dont vous brûliez naguère pour la véritable déesse de nos fêtes, cette veuve milanaise, bionda e grassotta, autour de laquelle vous avez rôdé tout bas pendant plus d’un an. Donc il a fallu que certains calculs, certaines considérations, dont vous-même n’avez pas conscience, vous fissent agir en sens inverse de votre instinct naturel. Vous vous êtes dit,… n’allez pas vous fâcher,… qu’une pauvre débutante, arrivée à Venise il y a deux mois, dédaignée jusqu’à présent, fort mal en point dans ses affaires, portant des robes fanées et des colliers de fausses pierres, devait être plus facilement abordable, et (passez-