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HABILLE-TOI LENTEMENT

Un jour M. de T. apprit de la bouche même d’un duc et pair, qui avait toute la confiance du roi, une nouvelle assez importante pour changer toute la politique de la France ; on n’en pouvait prévoir les conséquences. M. de T…, qui comprenait à demi-mot le but de cette confidence, quitta Versailles en toute hâte et tomba chez M. de P. comme la foudre. M. de P. lisait un pamphlet dans son cabinet, un cabinet où il ne faisait jamais rien. M. de T. raconta bien vite ce qu’on lui avait soufflé tout bas.

— Mon carrosse est à la porte, ajouta-t-il ; dans deux heures la cour sera dans une confusion extrême ; courez.

— Nous aurons tout le temps de causer de cette affaire après souper ; va faire dételer tes pauvres chevaux que tu as failli crever, et repose-toi. Demain on verra.

Le lendemain M. de P. fut revêtu d’une charge plus importante qu’aucune de celles qu’il avait jamais occupées.

M. de P. se servait quelquefois de M. de T. comme de secrétaire, M. de T. ayant gagné sa confiance par la dextérité de son esprit ; M. de P. lui reprochait seulement de céder trop promptement aux impressions de son cœur ou de son jugement.

— Mais mon oncle, lui disait alors M. de T., le premier mouvement est comme une voix intérieure qui crie la vérité ; c’est une flamme qui éclaire.

— Ce sont là des phrases bonnes à mettre en vers, lui répondait le duc de. P. ; mais en simple prose je t’engage à te méfier du premier mouvement, non point tant parce qu’il est quelquefois bon que parce qu’il engage.

Après une bourrasque de cour devant laquelle le ministère succomba, au moment où chacun croyait M. de P.