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QUAND TU ES PRESSÉ.

que pour commander au sort. Quand on lui faisait part de ces soupçons, M. de P. haussait les épaules et répondait que son secret était à la portée de tout le monde.

On sait qu’il n’y a pas de terrain plus glissant que la cour. Là les destinées n’ont rien d’assuré, et quand on jouit de la faveur il faut se presser d’en profiter ; le lendemain est rarement semblable à la veille. M. de P… ne paraissait pas se douter de cette vérité ; il agissait en toute chose comme si sa fortune eût dû être éternelle. Le fait est que la constance de son bonheur faisait mentir l’axiome. Quand une débâcle suivait le renversement d’un cabinet, bien loin de perdre son emploi, le duc en gagnait un supérieur ; si la favorite succombait sous la beauté d’une rivale, M. de P. obtenait de la nouvelle maîtresse plus encore qu’il n’attendait de l’autre ; et ce qu’il y avait de plus merveilleux, c’est que tous ces miracles s’accomplissaient sans fatigue. M. de P. était fort gourmet et fort paresseux, et jamais, dans aucune circonstance, pour si grave qu’elle fût, on ne lui vit retarder l’heure de son souper ou avancer celle de son lever.

Le duc de P. avait un neveu, garçon alerte, intelligent, spirituel et ambitieux. M. de T. était fort jeune encore lorsque son oncle occupait déjà une position éminente à la cour. Il passait chez son parent la majeure partie de son temps, et se plaisait dans sa conversation, où il trouvait sans cesse mille sujets de méditations. Mais ce qui l’étonnait encore plus que l’esprit, le grand sens et le scepticisme élégant de son oncle, c’était l’apparente indolence de son caractère. Sur ce chapitre-là ses surprises étaient de tous les instants.