Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
AIME MON CHIEN.

les vitres, et rendit bientôt tout dialogue impossible. On chercha à l’apaiser, on lui fit respirer des sels anglais, on lui bassina les tempes avec du vinaigre de la reine Pomaré ; rien ne put calmer ses cris ni ses nerfs. Le coup était porté, et Auvray vit bien que le plus court parti était de l’emmener. Il fit approcher une chaise à porteurs jusque sous le vestibule, et placer sur la banquette de derrière l’infortuné Murph qui continuait ses gammes chromatiques.

Le soir même de cette scène, Murph fut pris d’une fièvre violente qui ne fit qu’augmenter d’heure en heure pendant la nuit ; et le lendemain, au point du jour, il se trouva si accablé, si affaibli, qu’on désespéra de le sauver. On eut beau lui prodiguer les remèdes les plus empressés et les plus tendres, on ne put parvenir à renouer la trame de ses destinées ; quelques heures après, Murph était devenu la proie de la Parque et de M. Gannal.

Je n’ai pu savoir en détail ce qui se passa dans la maison d’Auvray pendant les premiers jours qui suivirent la mort de son chien ; je sais seulement que sa porte fut fermée à tout le monde. J’étais de tous ses amis le seul qu’il eût conservé ; moi seul comprenais Murph ; moi seul avais su respecter cette étrange passion. Mais le désespoir d’Auvray était si profond, que ma vue seule eût irrité ses peines ; comme la Matrone d’Éphèse, il était résolu à se laisser mourir dans une solitude complète.

Murph était mort depuis trois mois, et je me croyais à jamais séparé du sensible et malheureux Auvray, que je regardais comme enseveli dans son deuil, lorsqu’un matin je reçus un billet de notre ami commun, l’illustre et spiri-