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QUI M’AIME

que je me résigne à placer mes affections en viager, et à voir gannaliser un jour la plus chère moitié de moi-même !

Quelque temps après cette affaire, un mariage des plus avantageux s’offrit pour Auvray. Il n’avait guère que trente mille livres de rentes ; l’héritière qu’on lui proposait en avait plus de soixante, sans compter les oncles atteints d’hydropisie, les tantes asthmatiques, les grands parents paralytiques et goutteux, et beaucoup d’autres maladies que dans les familles on est convenu d’appeler des espérances.

Les amis d’Auvray comptaient sur cette union pour le détacher un peu de Murph ; mais cette liaison était de celles qui ne se dissolvent que par quelque événement plus miraculeux que ne l’est un mariage. Auvray se décida à aller faire sa cour, à condition toutefois que son chien ne le quitterait pas. Le médecin avait consenti pour cela à lever la consigne ; il répondait des influences atmosphériques, mais non pas des influences morales qui, chez les chiens impressionnables, sont indépendantes du baromètre.

Auvray se présenta chez sa future avec un bouquet de fleurs à la main droite, et son chien Murph sous le bras gauche. On voulut bien adresser au chien quelques compliments pour la forme, auxquels celui-ci ne répondit que par un grognement sourd et disgracieux. Auvray s’approcha de sa prétendue, et commença à lui adresser de ces douceurs officielles qui sont le prologue obligé de tout hymen intéressé ou non. Mais à peine eut-il commencé à prendre une attitude galante, que Murph, qui était d’une jalousie extrême, et ne pouvait comprendre que son maître adressât à un autre que lui ses attentions et ses prévenances, se mit à pousser des cris d’Othello si perçants, qu’il fit trembler