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QUI M’AIME

entra, et lui annonça que quelqu’un désirait lui parler.

— Je n’y suis pas ! dit-il brusquement en continuant à contempler Murph.

— Mais, Monsieur, il s’agit d’une affaire très-grave… Auvray fit un geste d’impatience et sortit brusquement, se promettant bien de congédier promptement l’importun qui venait ainsi l’arracher à la plus délicieuse des extases.

J’entendis aussitôt dans l’antichambre s’élever la voix d’Auvray, qui paraissait en proie à une émotion violente. Son accent s’abaissait par moments, mais pour s’élever bientôt de plus belle. Je ne pus m’empêcher d’être inquiet ; quant à Murph, sa tête, ses pattes, ses oreilles, ne témoignèrent pas la moindre émotion ; tout son corps conserva sa pose indolente et égoïste. Une telle froideur chez un être enveloppé de tant de sollicitude et de sucreries commençait à m’exaspérer, lorsque heureusement Auvray rentra dans le boudoir. Je ne pus me défendre d’un sentiment de compassion en jetant les yeux sur lui : il était pâle, haletant, aussi hérissé que Murph était lisse et calme.

— Voyez, me dit-il en me présentant un papier timbré, voyez ce qui m’arrive. Ah ! je n’y survivrai pas ; ils ont juré de me tuer !

Il se laissa tomber sur l’ottomane où reposait Murph au milieu d’un rempart de dragées. Je lus le papier ; c’était une assignation pour paraître devant le juge de paix, à l’effet de s’entendre avec une certaine marquise de Saint-Azor, qui réclamait un chien à elle appartenant, connu maintenant sous le pseudonyme de Murph, mais dont le vrai nom était Fortuné. Ce chien avait été dérobé par un domestique qui avait dû le vendre, sous un faux nom, à