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LES PROVERBES VENGÉS.

Un coup de sifflet vint couper court à cette improvisation remarquable ; la nuit régna de nouveau, et bientôt un personnage d’une haute taille, vêtu d’habits couleur de feu jusqu’à la ceinture, et couleur de fumée depuis la ceinture jusqu’aux pieds, se mit à parcourir la pelouse, une torche à la main, en ayant l’air de faire des préparatifs :

– Vous voyez en moi, dit-il, le plus vieux et le plus célèbre artificier de la terre ; car sans le secours de ma tête et de mes pieds, je défie tous les Ruggieri du monde de lancer en l’air la moindre fusée volante…

En disant cela, il frappa du pied, et l’on vit commencer un feu d’artifice si éblouissant, si nouveau, si hardi, que l’on comprit bien que l’enfer en personne y avait mis la main. Après une succession de feux de toute espèce, et dont le moindre eût fait pâlir de jalousie tous les bouquets de notre pyrotechnie officielle, on vit s’élever en l’air un palais tout de flammes, au milieu duquel était assis sur un trône phosphorescent le personnage éminemment combustible qui s’était annoncé, avec raison, comme le premier artificier du monde. Sur sa tête, on lisait cette phrase écrite en majuscules flamboyantes sur un fond noir :

il n’y a pas de feu sans fumée.

On voulait porter en triomphe le proverbe de l’artifice ; mais le palais de flammes s’éteignit aussitôt, et il en résulta une fumée si noire et si épaisse, que les spectateurs, tout endormis qu’ils étaient, furent obligés de se frotter les yeux en proclamant la vérité du proverbe.

Leurs yeux se rouvrirent pour contempler un spectacle d’un tout autre genre. La pelouse parut illuminée d’innom-