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CERISES SONT AMÈRES.

les portraits de ses trois persécutrices. Silvio portait l’un à l’épingle de sa cravate, le second en médaillon, et le troisième en bracelet. Le président, après les avoir examinés, crut devoir les faire passer sous les yeux des assistants. C’étaient trois têtes charmantes, celle de la pâtissière surtout. Elles décidèrent la question contre le malencontreux Silvio, que le vieux Frédéric-James Mordaunt foudroyait de sa muette indignation. Pour se consoler du vote spontané par lequel on le mettait au ban du suicide, le bel Italien se fit apporter un poncio spongato, et savoura lentement ce délicieux sorbet.

« Le non-moi finit presque toujours par tuer le moi, s’écria d’une voix creuse mynheer Ulrichs Kupferberg, professeur allemand, dont le tour était venu… Et même quand le subjectif s’exécute lui-même, il n’est que l’agent de l’objectif. Supposons un exemple : si la trois fois heureuse assemblée, à qui je fais l’honneur de m’expliquer devant elle, parvenait à me comprendre et m’admettait dans son sein ; si, ensuite, détruisant les conditions de mon être individuel, je rentrais dans les vagues domaines de l’infini, quelle serait la cause de cette dissolution, de ce divorce amiable, prononcé entre mon corps et mon âme ? Une cause seconde, une fortuité, pas autre chose ; un simple malentendu de ce πρόπρωτον mystérieux que le vulgaire appelle Providence. Pourquoi m’a-t-il placé, moi voyant, dans un milieu de ténèbres ? Pourquoi m’a-t-il donné, — j’établis à regret ce fait qui vous désobligera peut-être, — la perception interne de mon ineffable supériorité sur tous les êtres créés avant ou en même temps que moi ? Est-ce ma faute si je suis investi de facultés inouïes dont l’exercice