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À COLOMBES SOULES

beautés dont le regard faisait couler dans mes veines le poison subtil de l’amour. Aujourd’hui, les choses ont changé de face. Comment vous dire, Excellences, sans blesser la modestie, que je suis le trop heureux objet de trois préférences, dont la moindre est bien au-delà de mes faibles mérites, et suffirait à combler mes vœux ? Il en est pourtant ainsi : trois zentil donne, toutes trois accomplies en mérite et en vertus singulières, ont abaissé leurs yeux sur moi. Pareil aux captifs de Mézence, mon pauvre cœur, tiraillé à droite et à gauche, comme par des cavales indomptables, est chaque jour prêt à se rompre. Folles querelles, jalousies insensées, ardeurs inquiètes, de tous côtés me minent et m’assiègent. À une journée sans repos succède une nuit orageuse ; à la tempête nocturne, un jour rempli d’alarmes. Autrefois, j’avais trois ressources contre le désespoir d’amour : l’opéra, l’atelier, les dolci. Mais, hélas ! l’une de mes amantes est prima donna ; la seconde, modèle en renom, a ses libres entrées chez tous les peintres ; la troisième tient le seul magasin de mustacciuoli et de pain d’Espagne où un honnête homme puisse aller se distraire. Elle seule a le dépôt des raviuoli de Santa-Chiara et des struffoli de San-Gregorio-Armeno. Ce fut même là, s’il m’en souvient, ce qui lui valut mes imprudents hommages. À présent que faire, sinon aller chercher aux sombres bords le repos qui me fuit ici bas ? Ce que me refuse le fils de Cypris, Pluton me l’accordera peut-être. Qu’en pensezvous ? »

Pour toute réponse, le président fit un signe à son interprète, et celui-ci alla demander à Silvio, le plus discrètement qu’il sût le faire, s’il n’aurait point sur lui par hasard