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CERISES SONT AMÈRES

clubistes aspirants s’entr’examinèrent pour savoir qui parlerait le premier. Ce fut un Français qui se leva. Jehan Marcotteau avait dix-neuf ans, de trop longs cheveux, et aussi peu de mollets qu’une élégie moderne en comporte.

« Je veux me tuer, dit-il, procédant en vrai romantique par petites phrases courtes et saccadées. J’ai vécu un siècle en quelques jours. Tout homme m’est antipathique. Aucune femme ne me réjouit plus. Sardanapale était un innocent, au prix de votre serviteur ; Alcibiade, un épicier ; don Juan et Lovelace, deux crétins. Puis j’ai fait un drame, Messieurs. Je vous le jure, une œuvre cyclopéenne ! On l’a fort goûté, par malheur. J’espérais une lutte, des orages, quelque chose de grand, enfin, sur quelque mont Sinaï, couronné d’éclairs et de tonnerres. Mais on m’a traité comme le premier vaudevilliste venu. J’ai dû subir les bravos furieux de plusieurs centaines de croquants. Fatal et méprisable triomphe ! Ils m’ont souffleté de leurs applaudissements. Ils m’ont craché mon succès à la face. Donc je fus médiocre, ou du moins on peut dire de moi : Il fut médiocre un tel jour. N’est-ce point assez pour en mourir ? Qu’en pensez-vous, Messeigneurs ? »

Les sages de l’assemblée se regardèrent sans mot dire à cette bizarre interpellation ; puis on alla au scrutin, et le candidat fut exclu par un vote significatif. Silvio, bel Italien aux cheveux noirs, prit alors la parole.

« Je supplie, dit-il, vos excellentissimes Seigneuries d’écouter en toute faveur leur humilissime esclave. Les femmes, — que j’aime passionnément, — ont toujours fait le tourment de ma vie. Jadis, c’était par leurs rigueurs ; le tyran de Paphos jetait ses flèches de plomb à toutes les