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SONT LES CONSEILS DU DIABLE.

— Mais je ne puis recevoir personne…

— Personne, excepté un beau-père, interrompit une grosse voix ; et presque aussitôt un monsieur, gras, grand, vermeil et joufflu, se présenta au seuil du boudoir.

— M. Christophe Deschamps, dit-il en s’annonçant lui-même.

Madame Brémond s’inclina en s’efforçant de sourire.

— Je vous surprends dans l’asile des Grâces, Madame ; mais bah ! un beau-père a ses petites entrées partout. Parbleu ! j’en ai vu bien d’autres à Elbeuf ! Une belle ville, ma foi ! Connaissez-vous Elbeuf ? Non ? Après le mariage de mon fils, je vous y conduirai. C’est moi qui suis l’adjoint de l’endroit ; vous verrez ma fabrique et mon Casimir. Par le chemin de fer, c’est une bagatelle que ce voyage ; une petite maîtresse fait ça entre son déjeuner et son dîner. C’est plus difficile à moi qui fais mes cinq repas par jour. Mais bah ! en voyage comme à la guerre !… Mais, Madame, ne vous gênez pas pour moi ; continuez ; voyez, j’en agis sans façon, moi ; je m’installe.

Cette tirade avait été débitée tout d’une haleine, et, avant que madame Brémond eût trouvé le temps de glisser un mot, M. Deschamps s’était assis carrément sur l’ottomane de satin. En toute autre circonstance, madame Brémond aurait ri de tout son cœur ; c’était une femme d’esprit qui s’amusait des ridicules plus qu’elle ne s’en offensait ; mais en ce moment elle s’ennuyait.

Ses sourcils se froncèrent, et une moue dédaigneuse se dessina sur sa bouche ; à ce flux de paroles, elle ne répondit que par un regard glacial.

Mais M. Deschamps n’était pas homme à se déconcerter