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LES CONSEILS DE L’ENNUI, ETC.

— Lorsque Alhanase-Désiré-Jacques Brémond se charge d’une affaire, est-il dans l’habitude de ne pas réussir ?

— Ainsi, ta fille est fiancée ? reprit M. Bruneau après s’être assis dans un fauteuil, sa canne entre ses genoux et son chapeau sur sa canne.

— Ma Lucile est fiancée, et mon futur gendre arrive aujourd’hui même avec son père, M. Christophe Deschamps, d’Elbeuf.

— Et ta fourniture ?

— Elle est certaine ; les fonds sont prêts ; ma femme est l’amie de madame Ducornet, dont le mari, chef de division au ministère de la guerre, a promis de présenter le traité à la signature de Son Excellence. Madame Brémond le portera à madame Ducornet, apostillé d’une pièce de satin de Chine, qui nous est arrivée de Pékin, et dont notre protectrice a la plus grande envie pour paraître au bal de la cour. Ainsi tout est arrangé : le ministre signe le traité ce soir ; ce soir, nous signons le contrat, et tu vas m’accompagner pour acheter la corbeille de noces.

— Justement, j’ai une citadine à ta porte.

— Alors partons.

— Partons !… Mais n’as-tu rien à dire à ta femme ?

— Bah ! elle est maussade ce matin.

— Qu’a-t-elle donc ?

— Elle s’ennuie.

— Hein ! que dis-tu là ? elle s’ennuie !

— Eh bien ! oui, elle s’ennuie ! De quel air me regardes-tu ?

— Mon ami, sais-tu bien ce que c’est que l’ennui ?

— Quelle question ! Parbleu, oui, je le sais. L’ennui… Eh bien ! c’est l’ennui.