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NE CRACHEZ PAS DANS LE PUITS,

Mais quand on vit deux jeunes gens se lever en même temps, et, quelque peu interdits de l’effet qu’ils avaient produit, échanger à demi-voix, avec une cordiale poignée de mains, leurs félicitations réciproques, la curiosité ne tint pas longtemps la gastronomie en arrêt. Chacun se remit à l’œuvre de plus belle ; et nos deux amis, à qui personne ne prenait garde, s’attablèrent paisiblement, côte à côte, autour d’une table où trois autres convives avaient pris place. C’étaient de joyeux garçons, invités, à ce qu’il semblait, par le dandy qui répondait au nom de Philippe.

Leur conversation, que chacun put écouter sans scrupule vu le diapason très-élevé qu’ils lui avaient donné, courait et sautelait d’un sujet à l’autre avec une prestesse éminemment parisienne. On questionna d’abord M. Ernest qui revenait du Yucatan, où il était allé dessiner je ne sais quels anciens temples d’une architecture idéale. Ceci conduisit à parler de Fernand Cortez et des jambes d’une choriste.

Il fut ensuite question d’un suicide, et l’on disserta longuement sur de nouveaux pistolets à double détente, perfectionnés par un armurier allemand dont le nom m’échappe.

L’Allemagne mit sur le tapis un académicien récemment élu, dont on discuta vivement les titres philosophiques, et, pour bien peu, la grande question de l’enseignement universitaire allait tout envahir. Par bonheur, une méchante épigramme sur un ex-ministre de l’instruction publique détourna l’orage, et l’on ne parla plus, durant un gros quart d’heure, que d’une tentative d’assassinat pratiquée naguère par une dame poëte sur un romancier