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CHACUN EST DANSEUR.

Les croisées situées au fond de la cour étaient ouvertes aussi ; l’une était traversée par une guirlande de fleurs artificielles ; à l’autre on voyait flotter du linge qui séchait au soleil : une fleuriste et une blanchisseuse habitaient les modestes mansardes qui regardaient celle de Pastourel. L’heure du repas était arrivée, et les deux ouvrières, assises devant une table proprette, mangeaient du meilleur appétit. À ce spectacle, Pastourel ne put s’empêcher de faire un triste retour sur lui-même. Il appela ses filles.

Fanny appuya sa joue sur l’épaule de son père, et passa son bras autour de son cou ; Irma en fit autant de son côté.

Un poète aurait comparé Pastourel à un vieux cocotier entouré de lianes flexibles ; un peintre se serait arrêté pour dessiner ce groupe, dont nous nous bornons à indiquer la grâce.

— Si tu avais voulu, Fanny, dit le vieux danseur à sa fille en lui montrant la fleuriste, tu serais une ouvrière laborieuse, gagnant de quoi dîner tous les jours, et de quoi acheter une robe de soie pour le dimanche.

En même temps, le père Pastourel soupira.

— Et toi, Irma, continua-t-il, n’envies-tu pas le sort de cette gentille repasseuse ? Elle n’est pas obligée de se contenter d’une migraine pour dîner. Écoutez mes conseils, enfants, pendant qu’il en est temps encore : tous les beaux-arts de la terre ne valent pas un bon métier. Quelle jolie fleuriste tu serais, Fanny ! Et toi, Irma, quelle charmante blanchisseuse ! Vous ne manqueriez pas d’amoureux, j’en suis sûr ; les amoureux deviendraient bien vite des maris ;