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Z’AFFAI CABRIS

reléguée par vos ordres dans une retraite qui serait un paradis si vous la partagiez avec moi, je n’ai point osé vous importuner de mes lettres. Je m’y vois aujourd’hui forcée par les circonstances, et vous m’excuserez d’y avoir cédé.

Madame T…, dont vous n’avez peut-être pas oublié le nom, et qui a donné à mon éducation tant de soins dévoués, est en ce moment privée de son fils unique. De mauvais conseils et de pernicieuses liaisons ont égaré ce jeune homme. Enfin, tout dernièrement, pressé par le besoin aussi bien que par un désir insensé d’échapper aux remontrances de sa famille, le malheureux s’est engagé, sous un nom supposé. Après beaucoup de recherches, sa mère et ses amis ont pu retrouver ses traces ; et l’on a su que le recruteur auquel il s’est vendu pour quelques écus, appartenait au régiment que vous tenez de la bonté du roi.

À cette nouvelle, madame T… n’a pas douté un instant que son fils ne lui fût rendu. Elle est venue de sa province éloignée se jeter à mes genoux, et je ne saurais vous rendre les paroles touchantes qu’elle a fait entendre à son ancienne élève. Les larmes vraies dont elle les accompagnait ont pénétré mon cœur, et je me suis dit que bien certainement elles trouveraient accès dans le vôtre. Il ne s’agit, à ce qu’il paraît, que d’un engagement à déchirer ; et la circonstance du nom supposé, rend encore plus facile cette bonne action qui dépend de vous, de vous seul.

Je n’ai pas cru m’engager trop, au vis-à-vis de la mère éplorée, en promettant que vous l’aideriez, sur ma prière, à réparer le coup de tête de ce jeune insensé qu’elle aime plus que la vie. Songez, Monsieur, que par cet acte si juste en lui-même vous me donnez le moyen d’acquitter une