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PIERRE QUI ROULE

tions à l’élégance ; la plume de sa toque était flétrie et brisée ; le velours de ses chausses montrait la corde ; il avait été obligé d’envelopper dans des espardilles ses souliers de satin crevés en maints endroits.

— Messieurs, commença-t-il, je suis Italien de naissance, et troubadour de mon métier. J’ai cru qu’avec une jolie figure, un cœur sensible, des talents, il était aisé de faire fortune. J’ai mis tout cela au service des femmes ; les unes ont aimé mes chansons, les autres ma jeunesse ; celles-ci m’accueillaient parce que je leur apprenais à danser, celles-là parce que je leur enseignais les belles manières ; je trompais les maris, et j’étais trompé à mon tour. L’Allemagne, l’Angleterre, la France, ont vu mes triomphes éphémères ; maintenant la fleur de ma jeunesse commence à se flétrir ; je suis connu, c’est-à-dire usé ; les châteaux se ferment devant moi. Il me restait à visiter l’Espagne ; c’est ce que je fais en ce moment. Je me suis arrêté ici pour faire la sieste et réparer un peu le désordre de ma toilette avant de gagner Séville, où j’espère trouver une femme qui m’aimera ; car on dit que les Espagnoles ont le cœur tendre.

Un cinquième compagnon allait prendre la parole, lorsqu’un inconnu, qui s’était approché de la fontaine sans que personne fit attention à lui, arrêta le narrateur à son début.

L’étranger s’appuyait sur un bâton long et noueux ; sa barbe descendait sur sa poitrine ; une espèce de caftan flottait sur ses épaules ; son front sillonné de rides se cachait sous un bonnet fourré ; des bottes de cuir flexible étaient fixées à ses jambes par des bandelettes rouges. Cet accou-