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N’AMASSE PAS MOUSSE.

Il se fit dans l’auditoire un silence qui donnait un démenti formel aux prétentions du narrateur ; mais celui-ci prit ce silence pour un acquiescement, et il continua.

— J’ai toujours eu un penchant décidé pour l’art dramatique ; à seize ans je m’engageai dans une troupe de comédiens qui parcouraient la province. Je débutai dans la capitale de l’Estramadure avec un succès prodigieux ; l’Aragon ne me fut pas moins favorable ; j’étais l’idole du public et le soutien de la troupe.

La femme du directeur avait quelque penchant pour moi, et je faisais semblant de ne pas m’en apercevoir ; à cette époque, je recevais au moins cinq ou six visites de duègnes par jour, Cependant notre directeur mourut, laissant quelque vingt mille réaux à sa femme ; elle m’offrit alors de me mettre à la tête de sa troupe si je consentais à l’épouser ; j’acceptai par amour de l’art.

Investi des fonctions difficiles et importantes de directeur, je ne bornai pas ma tâche à la mise en scène des pièces, à la distribution des rôles ; je devins auteur moi-même, et j’ose dire que mes ouvrages ne furent pas médiocrement goûtés de la portion intelligente du public. L’autre portion s’obstinait, il est vrai, à les trouver froids et ennuyeux ; mais les suffrages des gens de goût me vengèrent. Cependant, nos recettes baissant, nous résolûmes de nous embarquer pour le Mexique, où l’art dramatique, disait-on, conduisait directement à la fortune.

Pendant la traversée, je fis ample provision de sujets que je comptais traiter selon le goût du Nouveau-Monde. Arrivés à Mexico, nous nous empressâmes d’annoncer nos représentations ; personne n’y vint. Les auto-da-fé et les