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RUSSIE

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Excellent professeur et détestable poète, il devient, piquante contradiction, le fondateur de la nouvelle prosodie nationale russe, qu’il appuie sur l’accent, à la façon des poètes populaires, et non plus sur le nombre des syllabes

— et en même temps, le théoricien de cet art pseudoclassique antinational où les esprits russes vont s’enliser durant un demi-siècle. — De l’autre extrémité de l’empire, d’Arkhangelks, arrive à Moscou le fils d’un simple pécheur, que pousse un besoin irrésistible de science et d’action. C’est Lomonossov. Sa vie ressemble à un roman ou le génie se mêle à la brutalité et à la misère. Il touche à peu près tous les genres scientifiques et littéraires, avec cette universalité d’intérêts et d’efforts, que l’on trouve à l’origine des grandes périodes de formation littéraire : physique, minéralogie, géologie, chimie, astronomie, métallurgie, toutes les sciences l’attirent, et il marque son empreinte à chacune d’elles. Puis il se met à la littérature : sa Grammaire russe, qui parait en 1755, fait époque, et domine la science de son pays, jusqu’à la Grammaire de l’Académie des sciences (1802) ; ses odes et ses épitres, enfin, lui font mériter le titre de poète, parce que, le premier de son pays, il a montré dans les vers une certaine souplesse harmonieuse. — Tandis que Lomonossov crée en Russie une véritable atmosphère littéraire, et réalise une sorte de lyrisme, Soumarokov inaugure l’art dramatique par sa tragédie Horei 1 (il iO). Directeur du premier théâtre fixe installé à Saint-Pétersbourg, il traduit, imite ou adapte un grand nombre de pièces étrangères ; dramaturge et poète faible, froid et superficiel, il a du moins laissé quelques pièces que soutient la satire sociale qu’elles contiennent, et qui sont, à cet égard, un curieux tableau du temps. — Avant de considérer les écrivains qui ont plus spécialement marqué le règne de Catherine II, il faut noter la création en 1755, grâce à l’influence du comte Chouvalov, de l’Université de Moscou dont l’influence devait être considérable sur la formation des esprits de la Hussie moderne. A ne considérer que la valeur intrinsèque, des u’uvres littéraires qu’il a produites, le règne de Catherine II ne diffère pas beaucoup du commencement du siècle. Mais ce qu’il y faut surtout considérer, c’est le mouvement des idées et la préparation plutôt sociale, peut-être, que littéraire, du terrain où allait éclore le romantisme du xix e siècle. L’un des facteurs importants de l’essor pris à cette époque par la littérature fut la part active que s’y réserva l’impératrice elle-même. Une occupation que ne dédaignait pas la souveraine ne pouvait laisser personne indifférent, et, bien qu’elle ne fut pas à la portée de tous, beaucoup s’y essayèrent : la société fut gagnée par eux. Catherine II sembla tout d’abord encourager l’imitation des littératures étrangères : elle s’était éprise des œtures de Voltaire et de Diderot, et il lui plaisait de s’entendre saluer du nom de « grande Impératrice » par des écrivains dont l’Europe entière proclamait le génie. Elle fait de l’Esprit des lois sa lecture favorite : elle comble Diderot d’attentions et de présents, prodigue aux Encyclopédistes les encouragements pécuniaires , et nomme d’Alembert précepteur de son fils. Elle entretient avec Paris une active correspondance, et se montre favorable à toutes les idées qui viennent de cette capitale du bon goût. Puis, au bout de quelques années, ses idées se modifient, et elle met autant de soin à poursuivre l’influence de Y Encyclopédie, qu’elle en avait mis naguère à l’encourager C’est que, pour Catherine II, le plaisir n’était pas toujours d’accord avec la raison d’Etat, et qu’elle se souciait fort peu de voir s’étendre à son empire les désordres qu’elle voyait éclater en France, etdont elle accusait ses anciens amis. Toutefois, le mouvement, une fois commencé, ne s’arrêta plus. L’impératrice put bien emprisonner Radistchev et Novikov, elle ne put empêcher leurs idées de faire leur chemin, elle ne put empêcher, surtout, que, dès la fin de son règne, une partie de la société russe, la meilleure à coup sur, prit intérêt au peuple des campagnes, et se pénétrât de cet esprit de douce fraternité avec les humbles qui éclatera, cent ans plus tard, dans les plus glorieuses productions de ses littérateurs. — Catherine II s’essaya dans plusieurs genres : elle y obtint surtout un succès d’estime. Pour la commission qu’elle avait réunie en vue d’élaborer un nouveau code, elle fit, sous le titre de .akai, une sorte de programme politique, emprunté àMontesquieu et à Beccaria. Bientôt, elle se mit au théâtre, et critiqua sur la scène les ridicules delà société contemporaine. On lui doit onze drames ou comédies, sept opéras et cinq proverbes, sans compter les innombrables lettres ou articles qu’elle dispersait à tous les vents : que tout cela soit médiocre, peu importe, ce n’en est pas moins un sérieux bagage littéraire pour une impératrice qui a eu en tête de bien autres soucis. Enfin, c’est à elle aussi que l’on doit la mesure la plus libérale de l’administration russe en matière intellectuelle, mesure d’ailleurs rapportée dans la suite : la permission accordée aux particuliers d’ouvrir librement des imprimeries (1783). Sous son règne, le théâtre fut représenté surtout par un écrivain de véritable talent : Von-Vi/.ine, dont le chefd’œuvre, Nédorosl (le Mineur) (1782), met en scène un de ces jeunes nobles de province que l’on faisait venir à Saint-Pétersbourg pour les instruire et les préparer au service ; une autre de ses comédies, le Brigadier, présente également des types de la province russe. Pour la première lois, les caractères spéciaux Aèla vie russe sont critiqués sur la scène par un homme qui a le sens du théâtre, et qui, tout en s’inspirant fortement de modèles étrangers, transpose adroitement les indications qu’il leur emprunte. Enfin, la langue de ses pièces est facile et vive : c’est la première fois que l’on entend sur la scène russe un dialogue aussi naturel et aussi savoureux.

— Un autre écrivain satirique, Vasili Kapniste, s’attaque surtout sur la scène, au monde de la chicane, qu’il représente d’une façon peu flatteuse dans sa comédie laWda.

— Enfin, le drame bourgeois se voit représenté surtout par de pauvres faiseurs de pièces, tels que Loukine, Ephimiev, et les efforts de Plavilstchikov ne réussissent pas à le tirer de la médiocrité. Le lyrisme de cette époque nous offre un nom d’une véritable importance : celui de Derjavine. Certes, ce n’est pas encore un poète qui fasse songer à ceux de la génération qui va naître avec le nouveau siècle , mais c’est un écrivain de talent , qui sait manier le vers, et qui, dans le genre d’ailleurs assez faux qu’il cultive , l’ode de circonstance, introduit une certaine simplicité et une certaine vérité de détail. Telle de ses pièces semble déjà révéler une influence ossianesque ; mais nous sommes loin encore des véritables romantiques. A côté de cet homme considérable, la poésie est pauvrement représentée. Khéraskov donne un insipide poème épique, la Rossiade ; Bogdanovitch s’essaie dans l’allégorie, et Vasili Maïkov dans le genre burlesque. — La Fable, plus heureuse, est d’abord représentée par Kemnitser, un Allemand d’Astrakhan, puis par Krylov. Ce dernier, qui meurt en 18 44, appartient surtout au xix e siècle, mais son genre indépendant permet de le rattacher auxvin , dont il procède à la fois par son tour pseudo-classique , par certaines tournures de sa langue, et jusque par sa compréhension de la fable bonhomme, le plus souvent traduite ou adaptée de La Fontaine.

La prose russe commence à fournir sous le règne de Catherine II quelques œuvres d’une certaine valeur, dont plusieurs sont encore lues aujourd’hui : c’est bien là le début de la littérature russe moderne. Le roman, à vrai dire, est encore dans l’enfance. Ce genre avait peu tenté le xvn e siècle, dont on ne pourrait citer que des contes légendaires adaptés à la vie russe, tels que l’histoire de Sawa Groudsine, le Faust russe. Auxvin 6 siècle, on traduit avec prédilection des romans français. Khéraskov fait un pauvre essai original, qu’il intitule Huma ou Borne florissante (1768). Un inconnu écrit en 1775 une