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HISTOIRE

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coup de faits historiques (actions individ uelles ou mouvements collectifs), elle a été la cause décisive. — Enfin, l’imitation agit non seulement entre les individus de la même société, mais aussi entre les divers groupes sociaux. Lorsque, eu comparant l’histoire de peuples séparés, soit par des différences de races, soit par de longs intervalles de temps ou de lieu, on observe d’incontestables similitudes dans l’évolution de leurs croyances, de leurs mœurs, de leurs institutions, on aurait tort de toujours expliquer ces similitudes par un développement parallèle et indépendant, d’y voir toujours des manifestations spontanées des mêmes besoins physiques ou des mêmes instincts moraux agissant dans des milieux analogues suivant des lois naturelles. 11 faut réserver cette explication pour les cas, assez nombreux d’ailleurs, où ces similitudes se sont produites sans qu’il y eût aucun point de contact entre les diverses sociétés chez qui on les observe ; mais l’on doit reconnaître que, dans beaucoup d’autres cas, elles sont simplement le résultat de l’imitation. Tantôt ce sera une imitation forcée : quand une nation victorieuse, en obligeant le peuple vaincu par elle à subir la présence de ses armées et le pouvoir de ses fonctionnaires, lui impose peu à peu ses institutions, sa langue et ses mœurs, comme ont fait les Romains pour l’Italie, la Gaule et les autres provinces de leur Empire, comme ont fait les nations européennes pour les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique chez qui elles ont violemment importé leur civilisation. Tantôt ce sera une imitation volontaire et réfléchie : quand deux peuples mis en relations directes par la guerre, le commerce ou les voyages, se communiquent réciproquement leurs idées, leurs pratiques, leurs productions industrielles ou artistiques ; ou lorsque la civilisation d’un peuple disparu, comme celle de la Grèce ancienne, se propageant de générations en générations et de siècles en siècles, suscite par la puissance de ses idées et la beauté de ses formes, la libre adhésion d’esprits appartenant aux races et aux régions les plus diverses. Inversement, 1 imitation pourra expliquer les différences souvent considérables que l’on observe dans le développement de deux sociétés originairement placées dans les mêmes conditions ; tandis que l’une, restant fermée à toute influence étrangère, poursuivra lentement son évolution naturelle, l’autre, subissant le contact d’une civilisation plus avancée, s’élèvera rapidement d’un état rudimentaire aux formes les plus compliquées de la vie politique et sociale. C’est ainsi que le rôle historique de la Russie, parmi les peuples slaves et tartares avec qui elle avait de communes origines, s’est soudainement transformé, depuis que Pierre le Grand et ses successeurs ont plié de gré ou de force leurs sujets aux idées, aux usages et aux disciplines qui étaient communes aux nations latines et germaniques de l’Europe.

Telles sont, indiquées par leurs traits les plus généraux, les principales causes dont l’action se manifeste d’une façon régulière dans l’histoire des sociétés humaines. Ces causes, que distingue l’analyse, n’agissent pas isolément ; elles se combinent entre elles de mille manières, chacune pouvant tour à tour devenir prépondérante. Dans les sociétés primitives, c’est l’influence du milieu physique ou celle de la concurrence vitale qui prédomine. A mesure que la civilisation se développe, les actes sociaux sont de moins en moins subordonnés à ces influences ; c’est principalement de la culture intellectuelle et morale, des qualités héréditaires de la race, de la solidarité historique et des influences internationales que dépend l’évolution particulière de chaque société (V. Civilisation).

Un s’est demandé depuis longtemps si, indépendamment de ces causes générales, qui expliquent la succession habituelle et régulière d’un grand nombre de faits particuliers, il n’y a pas une cause supérieure, expliquant le développement total de l’histoire ; on a cherché à découvrir, soit dans la constitution intime de la nature humaine, soit dans les lois scientifiques qui régissent l’univers, le principe d’action qui imprime à chaque société en particulier et à l’espèce humaine tout entière la direction générale de son

développement historique. Ce qui complique singulièrement cette question, c’est que, loin de suivre une orientation constante, l’évolution des sociétés présente des variations, des incohérences, des contradictions en apparence irréductibles. Tantôt c’est une progression vers un état meilleur, tantôt une régression vers un état pire ; les organismes sociaux se perfectionnent, puis se décomposent ; aux périodes de civilisation succèdent des périodes de barbarie ; souvent, au sein d’une société en décadence, on voit naitre et grandir les organes nouveaux qui la régénéreront sous une autre forme (V. Féodalité). Ces alternatives de progrès et de décadence se produisent-elles sans règle, au hasard des combinaisons suivant lesquelles s’associent ou se combattent, les causes générales que nous avons précédemment étudiées’! Ou bien y a-t-il dans l’évolution des sociétés un effort constant vers un but idéal, effort souvent contrarié par des obstacles ou des défaillances qui expliquent les chutes et les retours en arrière, mais effort toujours renaissant et qui détermine en somme une marche en avant’! En un mot, les généralisations de l’histoire peuvent-elles conduire à une loi d’ensemble, dont la large formule rendrait compte à la fois et des progrès et des rétrogradations partielles, qui s’entremêlent dans le passé des sociétés humaines ?

A cette question, les philosophes qui se sont préoccupés d’expliquer la marche de l’histoire ont répondu diversement. Leurs doctrines se ramènent à trois grands systèmes : celui du progrès fatal, celui du progrès moral et celui de la persistance de la force. Le premier système, ébauche par Herder, développé et accentué par Hegel(. ces noms), considère le progrès comme étant la loi générale de l’histoire, et donne à cette loi un caractère d’absolue nécessité. L’évolution des idées, entraînant à sa suite celle des faits, pousse fatalement les hommes et les sociétés vers un but idéal, qui est la réalisation terrestre de la raison. Les alternatives de progression et de décadence ne sont que les phases accidentelles de l’évolution totale, au cours de laquelle tous les obstacles sont peu à peu nivelés, les résistances individuelles vaincues par la puissance supérieure de l’Etat, les Etats les plus faibles successivement absorbés par les plus forts, jusqu’à ce que l’humanité, dégagée de toute entrave, arrivée à une pleine conscience, réalise en elle-même l’Idée divine. — Les partisans du second système, Turgot, Condoreet, liant, Renouvier, Renan (V. ces noms), pensent, comme Hegel, que le progrès est la grande loi de l’histoire ; mais, au lieu d’en faire une loi fatale, ils voient en elle une loi morale, s’imposant aux sociétés, comme aux individus, non par une nécessité inéluctable, mais par l’attrait que le bien idéal exerce sur l’intelligence et la volonté humaines. La tendance permanente à être de plus en plus, l’aspiration continue vers le mieux, tel est le principe d’action le plus énergique, dans l’humanité comme dans la nature. Mais le progrès, qui en est la conséquence, ne se réalise que s’il est voulu et cherché d’un courageux eflort. Même alors il rencontre d’inévitables obstacles dans le déterminisme physique et moral qui pèse sur chaque société, dans cette solidarité étroite qui enchaine le passé au présent et chaque groupe social aux groupes voisins ; mais, grâce à ce ressort d’énergie intime, à cette tendance au mieux qui subsiste en dépit de toutes les influences contraires, toute société qui le veut peut surmonter ces obstacles et réaliserquelque progrès. Les décadences même ne détruisent [tas le progrès acquis, et les sociétés nouvelles, qui se forment aux dépens des anciennes, recueillent d’elles le plus souvent un héritage d’idées et d’exemples, qui devient le bien commun de l’humanité, et qui, sans cesse accru, rend la marche en avant plus facile aux générations à venir. Le progrès ainsi conçu comme une loi moralement obligatoire, explique à la fois les avancements et les reculs des sociétés humaines : les uns étant la conséquence normale des efforts qu’elles font pour se conformer à cette loi ; les autres, la sanction des défaillances coupables auxquelles elles s’aban-