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ARISTOTE
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dire, en dehors de ces deux arguments. L’enthymème est un syllogisme où l’on raisonne d’après des vraisemblances ou des signes. L’exemple consiste comme l’induction à juger d’une chose par d’autres choses particulières semblables à celle qui est en question ; mais l’exemple ne va pas de la partie au tout ; il ne va que de la partie à la partie. La rhétorique détermine les points de vue d’où se tirent les enthymèmes et les exemples : cette détermination est l’objet de la topique oratoire. Aristote distingue trois genres de discours : le délibératif, le judiciaire et l’épidictique ; et il trace les règles propres à chaque genre. Tels sont les moyens oratoires relatifs à l’objet. En ce qui concerne l’orateur, son rôle est de faire en sorte qu’on le considère comme doué d’intelligence, de probité et de bienveillance. Enfin, les moyens relatifs à l’auditeur consistent à savoir exciter et calmer les passions. Aristote insiste longuement sur cette partie et y déploie une psychologie très fine. Il fait une étude intéressante de l’influence qu’ont les âges et les situations sur le caractère et les dispositions. À la suite de ces théories qui constituent le fonds de la rhétorique viennent des études sur l’élocution et la disposition qui dénotent une connaissance approfondie de la question, et beaucoup de justesse et de sagacité.

XXIV. Esthétique (Source : Poétique). — Aristote distinguait trois parties de la philosophie : la partie théorique, la partie pratique, et la partie poétique ou relative à l’art. Il n’a pas traité de cette dernière avec développement. Il n’en est pas moins, par les indications et les exemples qu’il fournit, le fondateur de l’esthétique. L’esthétique aristotélicienne part moins du concept du beau que de celui de l’art ; une théorie du beau y est toutefois esquissée. Les caractères essentiels du beau sont la coordination, la symétrie et la précision. La manifestation sensible n’est pas un élément essentiel du beau, car c’est surtout dans les sciences mathématiques qu’il se trouve réalisé. Le beau réside dans le général. La poésie, qui porte sur le général, est plus philosophique, plus sérieuse et plus belle que l’histoire, qui porte sur le particulier. Avec Platon, Aristote place l’essence de l’art dans l’imitation. L’art résulte du penchant de l’homme à l’imitation et du plaisir qu’elle lui procure. Ce que l’homme imite, c’est la nature, c.-à-d., selon la philosophie aristotélicienne, non pas seulement l’apparence extérieure, mais l’essence interne, idéale des choses. L’art peut représenter les choses telles qu’elles sont ou telles qu’elles doivent être. La représentation est d’autant plus belle que l’artiste a mieux su achever, dans le sens de la nature même, l’œuvre que celle-ci laisse nécessairement incomplète. Tout art tend à représenter le général et le nécessaire. Cela est vrai même de la poésie comique, dont le vrai but est la représentation des caractères. Les arts comportent plus d’un genre d’utilité. Ils produisent le délassement, la culture morale, la jouissance intellectuelle, et cet effet particulier qu’Aristote appelle purgation (xxOapatç). La purgation est le propre des arts les plus élevés, notamment de la poésie sérieuse. Qu’est-ce que cette fameuse purgation ? Ce n’est pas précisément une amélioration morale, mais la suppression d’une passion qui domine et trouble l’àme, par le moyen d’un traitement homéopathique. Il importe d’ailleurs de remarquer que toute excitation à la passion n’est pas capable de produire cet effet curatif. L’excitation salutaire, c’est celle qui procède de l’art, celle qui est soumise à une mesure et à une loi, et qui, agrandissant l’objet des passions, détache celles-ci des circonstances de la vie individuelle, pour les appliquer à la destinée commune à tous les hommes. Aristote ne donne pas de classification systématique des arts. Les plus élevés sont la poésie et la musique.

XXV. Poétique. — Ce qui nous reste de la Poétique d’Aristote se borne, presque à l’étude de la tragédie. Mais Aristote avait traité de la poétique d’une manière complète. — La poésie est née du penchant a l’imitation. Une tragédie est l’imitation d’une action sérieuse et complète,


d’une certaine étendue, en un beau langage, sous forme dramatique et non narrative,’imitation qui excite la terreur et la pitié, et qui, par là, purge l’âme de ces mêmes passions. Le poète tragique nous présente, dans ses héros et dans leur destinée, des types généraux de la nature et de la vie humaine. Il nous montre des lois immuables dominant et réglant les événements en apparence accidentels. De là l’efficacité de la tragédie pour purger l’âme de ses passions. La partie la plus importante de la tragédie est l’action. L’action doit être naturelle. Non que l’auteur doive dire ce qui est arrivé, mais il doit montrer ce qui aurait pu arriver, ce qui est possible, soit d’après les lois de la vraisemblance, soit d’après celles de la nécessité. L’action doit être une et complète. Il doit être impossible de déranger ou de retrancher une partie quelconque de l’ouvrage sans disjoindre et altérer l’ensemble. Car ce qui peut, dans un tout, être ajouté ou retranché sans qu’il y paraisse, ne fait pas partie du tout. L’unité d’action est la seule dont Aristote fasse une règle. De l’unité de lieu, il ne parle pas. Quant à l’unité de temps, il se borne à constater que la tragédie s’efforce en général de renfermer l’action dans un seul jour ou de ne dépasser que de peu cette durée. Il détermine les règles relatives aux parties de l’action, aux caractères, lesquels doivent être plus achevés et plus beaux qu’ils ne sont dans la réalité, à la composition, à l’élocution. Comparant la tragédie à l’épopée, il donne l’avantage à la première, parce qu’elle a une unité plus rigoureuse, une unité fermée, tandis que l’épopée comporte des parties dont chacune pourrait faire une tragédie.

XXVI. Grammaire (Sources : De interprétatione, chap. ier ; Rhétorique ; Poétique, chap. xx-xxi). — Aristote était considéré dans l’antiquité comme le fondateur de la grammaire et de la critique. Il avait écrit, pour l’explication et la critique des poètes, des ouvrages qui sont perdus. Les indications relatives à la grammaire que nous possédons ne sont pas données pour elles-mêmes, mais à propos d’autre chose : elles n’en ont pas moins une grande importance en ce qui concerne la formation de la science grammaticale. Aristote s’est occupé de grammaire avec son esprit d’observation habituel ; mais la théorie du langage était alors dans l’enfance. De là le vague et l’obscurité que présentent souvent ses assertions. Aristote admet trois parties du discours : le nom, le verbe et la conjonction. Le verbe et le nom sont soumis à la flexion. Les noms se divisent en masculins, féminins et neutres. Les mots sont plutôt fondés sur un accord des hommes entre eux que sur la nature. Par suite, dans leur formation, c’est moins le principe de l’analogie que l’arbitraire qui domine.

XXVII. Discours et Poésies. — On cite d’Aristote plusieurs discours, entre autres un Xdyoç Sixavixdçou plaidoyer dans lequel il se défend contre l’accusation d’impiété, un éloge de Platon, un panégyrique d’Alexandre ; mais l’authenticité de ces ouvrages est très contestée. Il avait composé aussi des poésies, dont il nous reste, parmi des fragments d’un authenticité très douteuse, quelques parties authentiques. Le plus important de ces spécimens est une scolie en l’honneur d’Hermias d’Atarne, sous la forme d’un hymme à la vertu, à laquelle, pareils aux anciens héros de la Grèce, Hermias a sacrifié sa vie. Mentionnons aussi quelques distiques d’une élégie à Eudème, en l’honneur de Platon. Voici la scolie en l’honneur d’Hermias : « Vertu, objet de labeur pour le genre humain, prix suprême de la vie ! pour toi, vierge, pour ta beauté, les Grecs sont prêts à affronter la mort, à supporter des travaux terribles, infinis. Tant est beau le fruit que tu fais naître dans le cœur, fruit immortel, qui vaut mieux que l’or, et que la noblesse, et que le sommeil au doux regard ! Pour toi. le fils de Zeus, Hercule, et les fils de Léda supportèrent beaucoup d’épreuves, nobles chasseurs poursuivant ta puissance. Par amour pour toi, Achille et Ajax entrèrent dans la demeure d’Hadès. C’est toi, c’est toi toujours qu’aimait, lui aussi, le fils d’Atarne ; et c’est pour ta beauté qu’il a privé ses yeux de la lumière du soleil.