science a, de la sorte, ses principes spéciaux irréductibles.
D’où viennent ces principes ? Ils ne sont ni innés, ni reçus
du dehors purement et simplement. Il y a en nous une disposition
à les concevoir ; et, par l’effet de l’expérience,
cette disposition passe à l’acte. C’est en cela, en définitive,
que consiste l’induction ; et ainsi c’est par induction que
nous connaissons les premiers principes propres à chaque
science. La démonstration suppose la définition. Il faut
qu’il y ait des définitions indémontrables : autrement on
irait à l’infini. Il n’y a de définition, ni de l’individu, ni de
l’accident, ou général indéterminé, mais seulement des
espèces intermédiaires entre le général et l’individu. La
définition se fait, par l’indication du genre prochain et des
différences spécifiques. Pour arriver à constituer une définition,
il faut aller du particulier au général, et contrôler
cette induction par une déduction allant du genre aux
espèces. En résumé, une chose est connue comme nécessaire,
quand elle est rattachée, par voie de déduction,
à une essence spécifique. Au-dessous de l’apodictique
ou théorie de la démonstration, laquelle montre
comment on peut arriver à connaître une chose comme
nécessaire, se trouve la dialectique, ou logique du probable :
elle est exposée dans les Topiques. Le domaine de
la dialectique est l’opinion, mode de connaissance susceptible
de vérité ou de fausseté. Le dialecticien prend pour
point de départ, non des définitions nécessaires en soi, mais
les opinions ou les thèses proposées par le sens commun ou
par les philosophes ; et il cherche quelle est, de ces diverses
opinions, la plus vraisemblable. Il procède par questions et
réponses, il examine contradictoirement le oui et le non sur
chaque question. Ainsi il conduit ses questions de manière
à poser d’abord une thèse, puis une antithèse ; et il discute
l’une et l’autre proposition. Cette discussion consiste à examiner
les difficultés qui surgissent, lorsque l’on veut appliquer
la proposition à des cas particuliers. Le dialecticien raisonne
syllogistiquement, en partant du vraisemblable. Et ce vraisemblable
initiel, c’est en définitive l’essence simplement
générique, non encore déterminée par la différence spécifique.
L’addition du principe spécifique au principe générique
est indispensable pour que la conclusion à laquelle
on aboutit soit nécessaire. Or les principes spécifiques ne
se peuvent déduire des principes génériques. Tout genre
comporte également différentes espèces. Le rôle de la dialectique
est considérable : elle est le seul mode de raisonnement
possible dans les matières qui ne comportent pas
de définitions nécessaires. Et, dans la recherche des vérités
nécessaires elles-mêmes, elle est l’introduction indispensable
à la démonstration. — Ce qu’est la dialectique en matière
logique, la rhétorique l’est en matière morale. Si la première
cherche le vraisemblable, la seconde le persuade. La
rhétorique est ainsi le pendant de la dialectique, ou plutôt,
comme la pratique est à la théorie ce que le particulier est
au général, la rhétorique est une partie de la dialectique.
Le mode de raisonnement propre à la rhétorique est
l’enthymême, syllogisme où l’on sous-entend l’une des trois
propositions, et où les raisons se tirent, non de l’essence
même des choses, mais de vraisemblances et de signes. Le
lieu principal de l’enthymême qu’emploie la rhétorique est
l’analogie, ou induction qui va du particulier au particulier.
— Enfin, de la dialectique se distingue Yéristique. Tandis
que celle-là se meut dans le domaine de ce qui est
général, ordinaire, sans être nécessaire, l’éristique se meut
dans le domaine du pur accident, et cela, volontairement.
L’éristique se contente d’une vraisemblance acceptée par
l’auditeur. Aussi les raisonnements éristiques sont-ils des
sophismes, qu’Aristote décrit et dévoile minutieusement.
— Au-dessous des choses qui arrivent toujours, lesquelles
dépendent d’une essence à la fois générique et spécifique
et peuvent être connues comme nécessaires, au-dessous
même des choses qui arrivent d’ordinaire, lesquelles dépendent
d’une essence simplement générique et peuvent être
connues comme probables, il y a les choses qui arrivent
accidentellement, sans aucune règle. Comme les choses qui
arrivent ordinairement résultent du mélange des espèces,
ainsi les phénomènes isolés résultent du mélange des genres ;
mais, tandis que ce qui n’est pas déterminable par
l’espèce l’est encore, dans une certaine mesure, par le
genre, fonds commun de plusieurs espèces, ce qui n’est
pas même déterminable par le genre ne l’est plus du tout,
vu qu’au-dessus des genres il n’y a plus que les principes
universels qui s’appliquent absolument à tout, qui, par
conséquent, ne déterminent rien. Du hasard donc, comme
tel, de la rencontre des deux genres, il n’y a pas de
science. Seuls, les éléments du phénomène fortuit peuvent
être connus comme nécessaires ou possibles en tant qu’on
les rattache à leurs essences spécifiques ou génériques respectives :
l’assemblage de ces éléments, qui constitue le
phénomène fortuit, est sans raison, parce que les genres
sont sans lien entre eux.
La logique aristotélicienne a régné sans conteste jusqu’à Bacon et Descartes. A partir des commencements de la philosophie moderne elle a été battue en brèche de divers côtés, soit qu’on lui reprochât de n’être que la logique de l’exposition, non celle de l’invention, soit même qu’on la considérât comme factice et illégitime. La discussion roule principalement sur la valeur du concept ou idée générale, qui en est la base. Les empiristes notamment, qui ne voient dans les idées que des traces de l’expérience, mesurent la valeur des généralités au nombre de faits constatés dont elles sont, selon eux, l’enregistrement pur et simple, et soutiennent que, d’une manière générale, la vérité de la majeure d’un syllogisme suppose celle de la conclusion, d’où il suit que le syllogisme est un cercle vicieux. La question est de savoir si un concept n’est qu’une idée collective, ou si c’est une unité, statique ou dynamique, valable pour un nombre indéfini de faits passés, présents et à venir. Mais lors même que le concept aristotélicien ne coïnciderait pas exactement avec la nature des choses, comme il arriverait si la continuité était la loi fondamentale de l’être, la logique aristotélicienne n’en conserverait pas moins une réelle valeur : non seulement elle subsisterait comme analyse des conditions de la connaissance idéale pour l’esprit humain ; mais elle serait légitime dans la mesure où il existe des espèces dans la nature. Or, il en existe, sinon d’une manière éternelle et primitive, du moins en fait et actuellement. Les êtres supérieurs, surtout, forment des groupes relativement stables. Lors même que la continuité serait la loi fondamentale, il n’en faudrait pas moins reconnaître dans la nature une tendance à la discontinuité et à la spécification. La logique aristotélicienne répondrait à cette partie ou à ce côté de la nature, qui est gouverné par la loi de spécification. Destituée de la valeur métaphysique et absolue que lui attribuait son fondateur, elle conserverait une valeur relative et expérimentale.
VIII. Métaphysique (Source : la collection appelée Métaphysique). — Tandis que chaque science spéciale considère quelque espèce particulière d’êtres, la physique, par exemple, l’être en tant qu’il y a en lui matière et mouvement, les mathématiques, la forme de l’être mobile en tant qu’on l’isole par abstraction de la matière où elle est réalisée, la philosophie première, ainsi que l’appelle Aristote, considère l’être en tant qu’être, τό όν, ή όν, et en recherche, en ce sens, la nature. — La métaphysique aristotélicienne s’est constituée en opposition avec la métaphysique platonicienne. Aristote commence donc par critiquer son maître. Platon, dit-il, cherche à la fois l’objet de la science et l’absolu de l’être dans les essences générales conçues comme existant à part, en dehors des choses et en dehors les unes des autres. Or, le vrai est ici mélangé avec le faux. Platon a bien vu que le général seul peut être objet de science, et qu’ainsi le monde sensible comme tel ne peut être connu scientifiquement. Mais il s’est trompé en croyant que les genres peuvent exister à part et qu’ils peuvent être principes et substances. Les genres n’existent que dans les individus. On s’engage dans d’inextricables