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ARISTOTE
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des conversions dont Aristote détermine les règles. — 3. Le raisonnement consiste essentiellement dans le syllogisme. La théorie du syllogisme et de la démonstration ou syllogisme parfait est appelée par Aristote analytique. Cette théorie a été créée par lui. Il affirme, en effet (peut-être en pensant tout d’abord à la dialectique, mais en étendant certainement son assertion à toute la théorie du raisonnement), qu’avant lui sur ces matières il n’existait rien, qu’il n’a pas eu seulement à perfectionner, mais à créer, et que c’est à force d’essais laborieux qu’il est arrivé à son but. Kant a dit de la théorie du syllogisme que depuis Aristote elle n’avait pas fait un pas, soit en avant, soit en arrière. Le syllogisme est un raisonnement dans lequel, étant posées certaines choses, quelque chose d’autre s’ensuit nécessairement. Le propre du syllogisme, c’est de mettre en évidence la nécessité de la liaison. Ce résultat est obtenu par l’emploi d’éléments adaptés à une application exacte du principe de contradiction. Ces éléments sont des termes considérés comme étant entre eux dans le rapport de la partie au tout. Soit A contenant B et B contenant C, il s’ensuit, nécessairement, d’après le principe de contradiction, que A contient C. Tel est le type du syllogisme, et les trois termes qu’il implique s’appellent pour cette raison grand, moyen, petit. Cette relation de contenance est considérée par Aristote comme l’équivalent de la relation du général au particulier. Le genre est comme un cercle défini qui contient les espèces. Le syllogisme est parfait ou imparfait, selon qu’il est immédiatement conforme au type que nous venons d’indiquer, on qu’il n’y devient conforme qu’à l’aide de réductions. L’origine de cette théorie se trouve dans les mathématiques. Elle consiste dans une adaptation aux notions qualitatives des rapports de grandeur. Il était naturel qu’Aristote cherchât, dans une imitation analogique des mathématiques, le moyen de démontrer nécessairement en matière qualitative ; car les mathématiques réalisaient, de l’aveu de tous, cette nécessité dans l’enchaînement des termes, qu’il avait en vue. Parmi les cas particuliers du syllogisme, le plus important est l’induction, ou raisonnement qui va du particulier au général. Voici un exemple de ce raisonnement « L’homme, le cheval et le mulet vivent longtemps. Or, l’homme, le cheval et le mulet sont des animaux sans fiel. Donc, tous les animaux sans fiel vivent longtemps. » La condition de la légitimité de la conclusion, c’est la convertibilité de la mineure. Ici, par exemple, il faut qu’à la proposition : « L’homme, le cheval et le mulet sont des animaux sans fiel » il soit légitime de substituer : « Tous les animaux sans fiel sont l’homme, le cheval et le mulet. » La légitimité de cette substitution n’est plus une question de logique. En fait, la série des animaux sans fiel est infinie. Mais l’essence de l’animal sans fiel est tout entière dans chaque animal sans fiel. La question est de discerner cette essence, de dégager le type de l’animal sans fiel, de manière à distinguer les caractères qui appartiennent aux animaux sans fiel en tant qu’ils sont sans fiel, d’avec les caractères qui leur appartiennent indépendamment de cette condition. Pour y parvenir, on considère un certain nombre d’animaux sans fiel, on les compare entre eux, on cherche ce qu’ils ont de commun, ce qui, en eux, est essentiel et nécessaire. En d’autres termes on considère les êtres de la nature, non seulement avec les sens, mais avec le voile, lieu des essences et capable de les retrouver, de les reconnaître dans les données des sens. L’induction d’Aristote vise ainsi à la classification des êtres et des faits, et à une classification naturelle. En tant qu’elle s’applique à discerner les rapports nécessaires des rapports contingents, elle rend possible la prédiction, et ainsi elle fournit de véritables lois, au sens moderne du mot. Mais cette possibilité de prédiction est restreinte aux faits qui découlent immédiatement d’une essence déterminée, elle ne s’étend pas aux faits qui résultent du mélange de plusieurs essences. Car le mélange des essences n’a pas de raison, est chose purement contingente. Les genres, selon


Aristote, sont radicalement séparés les uns des autres, chacun d’eux est un absolu. Par cette doctrine de l’indépendance des genres, la théorie aristotélicienne de l’induction est en opposition, tant avec le cartésianisme, qui ramène les lois physiques aux déterminations mathématiques, qu’avec l’évolutionisme, qui admet l’existence des espèces, mais en leur attribuant une genèse dans le passé à partir d’une origine commune. — Le syllogisme proprement dit et l’induction sont entre eux, selon Aristote, comme l’ordre de la nature et l’ordre de la connaissance humaine. En soi, le syllogisme est plus intelligible pour nous, l’induction est plus claire. Le syllogisme part du général. Or, il est impossible de prendre connaissance du général, sinon par induction. Non que les principes généraux reposent sur la sensation et l’induction comme sur leur fondement ; mais c’est l’induction qui nous présente ces principes, c’est elle qui nous fournit les éléments intelligibles que le  reconnaît comme nécessaires et vrais. — b. Tels sont les instruments de la science. Comment, par leur moyen, la science se constitue-t-elle ? La science est la connaissance des choses en tant que nécessaires. Une chose est connue scientifiquement quand nous savons qu’elle ne pouvait être autrement. Or cette connaissance existe quand nous réussissons à rattacher une chose à sa cause. — Il y a dans la nature trois sortes de liaisons : 4° Les conjonctions d’événements qui se réalisent toujours, ex. : les relations des phénomènes astronomiques ; 2° les conjonctions d’événements qui ne se réalisent que d’ordinaire, ex. : les relations des choses physiques, et, davantage encore, des choses morales ; 3° le hasard, c.-à-d. les coïncidences qui ne se reproduisent que peu ou point. La première espèce de liaison comporte la science parfaite, la seconde une science imparfaite bornée à la probabilité ; la troisième reste en dehors de la science. Il n’y a pas de science de ce qui se passe. Ni l’opinion, ni la sensation ne peuvent produire la science, parce qu’aucune d’elles ne peut nous faire connaître les choses comme nécessaires. La dialectique platonicienne, elle aussi, est impuissante à fournir la science, parce que, comme elle consiste en demandes et réponses, elle ne s’appuie que sur le consentement de l’adversaire, non sur le vrai en soi. Partie de l’hypothèse, elle ne dépasse pas la conséquence purement logique et formelle. C’est par la démonstration que s’obtient la science. — La démonstration se fait par syllogisme direct de la première figure. La réduction à l’absurde et les syllogismes de la seconde et de la troisième figure ne sont pas encore la démonstration. La démonstration prend son point de départ dans un principe non seulement accordé par l’adversaire, mais nécessaire en soi. C’est ainsi que raisonnent les mathématiques. La démonstration comprend trois éléments : 1° le sujet ; 2° l’attribut, qu’il s’agit de rattacher au sujet par un lien de nécessité ; 3° les principes généraux sur lesquels se fonde la démonstration. Ces derniers sont le principe de contradiction et ses dérivés. Indispensables, ils sont, en eux-mêmes, vides et insuffisants. C’est dans la nature du sujet que réside la base de la démonstration. Il y a des principes propres au sujet, et ce sont ces principes spéciaux qui ont un contenu et sont féconds. C’est sur ces principes qu’il faut s’appuyer ; l’on ne doit jamais, dans la déduction, passer d’un genre à un autre, excepté quand l’un est proprement subordonné à l’autre. La géométrie, par exemple, ne saurait s’expliquer par l’arithmétique : il est impossible d’adapter à des grandeurs étendues les démonstrations propres au nombre. Quand on viole cette règle, on n’a plus pour se guider que les principes communs à toutes les sciences ; et alors les liaisons que l’on établit ne sont connues que comme accidentelles et contingentes, non comme essentielles et nécessaires : on a procédé par analogie, non par démonstration. L’impossibilité que voit ici Aristote sera levée par Descartes et Leibnitz. Les principes propres sont indémontrables comme les principes communs. Prétendre tout démontrer serait se condamner, ou au progrès à l’infini, ou au cercle vicieux. Chaque