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ARISTOTE
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alors en vigueur. Longtemps avant la mort de Platon, il manifesta son indépendance. Il est très possible que, comme membre de l’école platonicienne, il ait déjà fait des cours pour son compte. Dès cette époque, du moins, il écrivit ; et, si ses premiers écrits sont platoniciens de forme et de fond, ils n’en contiennent pas moins déjà des objections contre les théories des idées, et l’affirmation de l’éternité du monde. C’était à regret, nous dit-il, et par zèle pour l’intérêt supérieur de la vérité, qu’il combattait ainsi son maître. Il donnait, d’ailleurs, l’exemple du respect pour le génie de Platon. Dans une poésie qui nous est parvenue, il célèbre son maître comme un homme que le méchant n’a pas le droit de louer, et qui a montré, par sa vie et sa doctrine, comment l’homme bon est en même temps l’homme heureux. — La mort de Platon (347) ouvre, dans la vie d’Aristote, une nouvelle période. Il quitta Athènes et alla, avec Xénocrate, à Atarne, en Mysie, auprès de son ami et condisciple Hermias, tyran de cette ville, dont il épousa dans la suite la nièce ou sœur Pythias. Plus tard, il devait se marier, en secondes noces, avec Herpyllis. Après la chute et la mort d’Hermias, survenue en 345, Aristote alla à Mytilène. De là, il semble être revenu à Athènes, et y avoir ouvert l’école de rhétorique dans laquelle il se posa en adversaire d’Isocrate. En 342, il accédait rappel de Philippe, roi de Macédoine, qui lui demandait d’entreprendre l’éducation de son fils Alexandre, alors âgé de quatorze ans environ. Il resta à la cour de Macédoine jusqu’à ce qu’Alexandre entreprit son expédition d’Asie (334). Sans s’égarer à la poursuite d’un idéal trop éloigné de la pratique, Aristote paraît avoir cultivé dans l’esprit de son élève les qualités généreuses. Alexandre garda toute la vie respect et amour pour son maître, bien qu’à la fin un certain froid ait régné entre eux. En 335 ou 334, Aristote revint à Athènes ; et il y ouvrit, au lycée, une école qui prit le nom d’école péripatéticienne, vraisemblablement à cause de l’habitude qu’avait le maître de se promener avec ses disciples tout en causant science et philosophie. Le matin, raconte Aulu-Gelle, Aristote donnait, à un auditoire choisi, un enseignement dit acroamatique, qui portait sur les parties les plus difficiles de la philosophie, notamment sur la philosophie de la nature et sur la dialectique. Le soir, il donnait un enseignement exotérique, offert à tous ceux qui se présentaient, et traitant de la rhétorique, de la topique et de la politique. Il enseignait et sous forme de cours, et sous forme de conférences. Son école était, comme celle de Platon, une société d’amis qui se réunissaient, à des jours fixés, pour des repas communs.

Déjà riche par lui-même, et jouissant de l’assistance du roi, Aristote était en mesure de se procurer toutes les ressources scientifiques que comportait la société d’alors. On dit qu’Alexandre lui envoya huit cents talents pour la confection de son Histoire des animaux. On dit même qu’il mit à sa disposition des millions d’hommes chargés de chercher pour lui des animaux de toute sorte, notamment des poissons, d’entretenir des jardins d’animaux et des volières, de l’informer de tous les faits et de toutes les découvertes susceptibles de faire avancer la science. Ce sont là des légendes, mais dont les faits, sans doute, ont été l’occasion. Aristote a certainement rassemblé tous les documents de toute nature qu’il lui a été possible d’obtenir. Le premier, il a formé une grande collection de livres. Après le meurtre de son neveu et disciple Callisthène, Aristote cessa ses relations avec Alexandre. La mort de ce dernier (323) ne le mit pas moins en danger. Lorsque éclata la guerre lamiaque, il fut considéré comme un ami des rois de Macédoine et d’Antipater, et poursuivi pour crime d’athéisme. Il partit d’Athènes, afin, dit-il, que les Athéniens ne se rendissent pas une seconde fois coupables envers la philosophie. Il s’enfuit à Chalcis, en Eubée ; mais il y mourut de maladie dès l’été de 322, peu de mois avant Démosthène, qui était né la même année que lui. Il avait soixante-deux ans. Son caractère, atta-


qué de bonne heure par des adversaires politiques et scientifiques, apparaît dans ses écrits comme loyal, humain et noble ; et nul fait confirmé ne prouve le contraire. Sa vie est empreinte de dignité morale et philosophique. Aristote est un génie à la fois universel et créateur, et un travailleur infatigable. Il n’a pas l’élan de Platon : l’esprit tourné vers la réalité donnée, il tient pour chimérique ce qui serait sans rapport avec elle ; mais il n’est pas empirique, et dans le sensible il cherche l’intelligible. En toutes choses, il recommande le juste milieu, la mesure. Une moyenne fortune, le gouvernement de la classe moyenne, telle est la meilleure condition pour l’individu et pour la société. Il était, nous dit-on, maigre et de petite taille ; il avait de petits yeux et une expression d’ironie dans la bouche. De sa première femme, Pythias, il laissa une fille du même nom. De sa seconde, Herpyllis de Stagire, il laissa un fils, Nicomaque, celui-là même dont l’Ethique à Nicomaque porte le nom. Dans son testament il parle en termes affectueux de sa première et de sa seconde femme, de ses deux frères, et de leurs enfants ; et il témoigne de la sollicitude à ses amis et à ses parents éloignés.


Buste d’Aristote (fragment), d’après la statue du palais
Spada alla Regola, à Rome.

II. Les écrits d’Aristote. — L’histoire de la conservation des écrits d’Aristote est peu connue. Selon Strabon et Plutarque, les écrits d’Aristote et de Théophraste, après la mort de ce dernier, seraient venus aux mains de Néleus, qui les emporta chez lui à Scepsis, en Mysie. Là, ils auraient été cachés dans une cave. A. l’époque de Sylla ils auraient été découverts par Apellicon. Puis, Sylla les aurait fait transporter à Rome. Quoi qu’il en soit de ces anecdotes, les textes qui s’étaient conservés furent revus et classés, au premier siècle avant L-C, par Andronicus, de Rhodes, philosophe péripatéticien, qui en donna une édition complète (vers 60-50 avant J.-C.). C’est cet Aristote que nous possédons. Cette collection contient vraisemblablement tout ce qui subsistait alors d’authentique ; et l’on a sujet de tenir en général pour apocryphes les ouvrages, absents de cette collection, qu’énumère Diogène Laërce. Mais, vraisemblablement aussi, tout ce que contient l’édition d’Andronicus n’est pas d’Aristote ; et les œuvres authentiques elles-mêmes n’y sont pas exemptes d’additions et de changements. De plus, nous connaissons les titres d’ouvrages certainement authentiques qui manquent dans notre collection et qui étaient apparemment perdus dès l’époque d’Andronicus. Mais il parait bien que les œuvres les plus importantes pour la connaissance de la philosophie et de la science aristotélique nous aient été