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et de là toute la théorie idéaliste se déduit logiquement. Les partisans de l’idéalisme disent aux matérialistes : Vous êtes complètement dupes des apparences. Vous réduisez tout à la matière (et, en ce qui concerne l’homme, au corps) ; mais votre matière se réduit, en définitive, à des états de conscience, à des états de l’esprit. Tout ce que vous pouvez affirmer sur la matière se réduit à deux choses : des qualités sensibles, comme la pesanteur, la résistance, l’impénétrabilité, la forme, la couleur, etc. ; et un certain nombre de lois (c.-à-d. de rapports constants entre les phénomènes) découvertes et formulées par les sciences de la nature. Mais tout cela c’est de l’esprit. Ce qu’on appelle qualités ou propriétés de la matière, ce sont simplement nos manières de percevoir. Qu’est-ce, par exemple, que la résistance, sinon le sentiment que j’ai d’un certain effort ? Sans cet état purement subjectif, sans cette modification de mon esprit, tout devient pour moi inintelligible, le mot et la chose. Le même raisonnement est applicable à toutes les propriétés de la matière, sans exception ; elles se résolvent, en fin de compte, en états de l’esprit. Pour les lois, c’est tout aussi clair ; raisonner, induire, déduire, calculer, ce sont là des actes de l’esprit. La matière se résout donc en états spirituels et nous avons raison de dire que la matière n’est que l’extériorisation de l’esprit, sa projection au dehors, sous certaines conditions d’espace et de temps. Tout ce que vous affirmez au sujet de votre thèse peut être repris par nous et interprété en notre faveur. Le fait même de la sensation qui vous sert de point d’appui témoigne contre vous : car une sensation non sentie est un pur verbiage, et sentir est justement ce que nous appelons un acte de l’esprit.

IV. Si l’on ne veut ni admettre à la fois le corps et l’âme, ni confisquer l’âme au profit du corps, ni confisquer le corps au profit de l’esprit, reste une dernière solution : c’est de les identifier. Mais dés lors, ils n’ont plus ni l’un ni l’autre une véritable réalité, une existence indépendante et propre. Le corps et l’âme, ou, pour parler plus correctement, les phénomènes physiques et les phénomènes psychiques ne sont que la manifestation d’un principe supérieur qui les contient et les domine. La forme la plus ancienne de cette doctrine est le panthéisme, qui ne peut être exposé ici parce qu’il sort du cadre de cet article. Spinoza en est le représentant le plus rigoureux. Il n’y a pour Iui d’autre réalité que la « substance », c-à-d. ce qui existe en soi et par soi. Elle a parmi ses attributs la pensée, dont les âmes sont des modes, et l’étendue dont les corps sont des modes. Les âmes individuelles ne peuvent donc avoir qu’une existence passagère et une réalité d’emprunt. — De nos jours une doctrine analogue s’est produite sous le nom de monisme. Elle en diffère cependant, non seulement par la dénomination, mais par le fond. Comme son nom l’indique, elle est la doctrine de l’unité, mais elle exclut la conception théologique que le mot panthéisme impliquait. Elle part, non de la notion métaphysique d’une substance ou de Dieu, mais de la réalité concrète telle qu’elle nous est donnée par l’expérience avec toutes ses manifestations physiques, vitales et psychiques. Elle ne les sépare pas les unes des autres. Elle ne conçoit aucun phénomène spirituel comme distinct de la matière et indépendant d’elle ; mais aussi elle croit trouver, jusque dans les derniers éléments de la matière, des analogues de l’activité psychique : les attractions et répulsions, les actions chimiques, les combinaisons et dissociations sont comme une ébauche de ce qui sera plus tard amour, haine, désir, etc. L’irritabilité des derniers éléments anatomiques est la première lueur de ce qui deviendra sensibilité et, plus tard, intelligence, pensée. C’est une fusion du physique et du psychique à tous les degrés et sous toutes les formes. Il est évident que, dans cette hypothèse, l’âme n’est plus une substance. Elle n’est qu’un aspect de la nature des choses. Elle est constituée par un groupe d’événements dont le seul caractère commun est d’être donnés comme intérieurs et de s’opposer par là aux événements dits matériels dont le caractère est l’exté-


riorité. Mais il n’y a entre ces deux groupes qu’une différence de point de vue : au fond c’est une seule et même réalité, vue dans des conditions différentes, tantôt par le dedans, tantôt par le dehors.

V. Nous n’avons pas ici à faire un travail critique. D’ailleurs, l’exposé de chaque doctrine fait assez ressortir les points faibles des autres. Pour terminer, il nous reste à dire quelques mots de ceux qui, au lieu de spéculer sur la nature de l’âme, se bornent à en étudier les manifestations. Ici nous passons du domaine de la métaphysique dans celui de la science. Il est vrai que ce passage ne se fait qu’au prix d’un sacrifice : se résigner à beaucoup ignorer. Cette doctrine toute phénoméniste (puisqu’elle s’en tient aux seuls phénomènes) est issue à la fois de la critique faite par Hume et par Kant et du progrès des sciences naturelles. Elle est représentée par ce que Lange a appelé « la psychologie sans âme ». De même que le physicien et le chimiste étudient les propriétés et les lois de la matière brute, sans spéculer sur l’essence de la matière ; de même que le biologiste étudie les propriétés des corps vivants et leurs lois, mais sans essayer de déterminer l’essence de la vie ; de même aussi les représentants de la psychologie nouvelle se bornent à étudier les phénomènes de la vie mentale, mais sans spéculer sur l’âme. Elle est pour eux un x, une inconnue, peut-être un inaccessible et un inconnaissable, qu’ils relèguent dans le domaine de la métaphysique, c.-à-d. des hypothèses et des conjectures. En tout cas, ils soutiennent que si l’esprit humain peut jamais arriver à quelque clarté sur ce sujet, ce résultat ne pourra être que le fruit de longues recherches ; que le problème doit être abordé par en bas, non par en haut, et que c’est une grande témérité que d’espérer le résoudre d’emblée. Aussi, dans leurs écrits, n’emploient-ils pas le mot « âme » qui prête à l’équivoque ; ou, s’ils en font usage, c’est en lui donnant le sens vague qu’il a dans la langue courante ; pour désigner simplement l’ensemble des phénomènes psychiques, mais sans rien préjuger sur leur cause ou leur nature. Ils se contentent d’étudier les phénomènes en eux-mêmes, de les rattacher autant que possible à leurs conditions physiologiques, d’en déterminer les lois, de leur appliquer même les procédés expérimentaux, quand cet emploi trouve sa place (recherches sur la durée des actes psychiques, travaux des psycho-physiciens sur la mesure de l’intensité des sensations, etc.) ; enfin de noter toutes les manifestations de la vie psychique dans la série animale et de les suivre dans leur évolution. Le problème de l’âme se dissout ainsi en une infinité de recherches dont beaucoup sont encore inabordées, et dont bien peu sont achevées.

Th. Ribot.

III. Théologie. — Anéantissement, immortalité conditionnelle, rétablissement final, peines éternelles, résurrection de la chair, jugement (V. Eschatologie).

III. Musique. — (Terme de luth.). L’âme, malgré ses petites dimensions, est une des parties les plus importantes des instruments à cordes. C’est un cylindre allongé en sapin bien sec, placé entre la table et le fond du violon, à deux Bues derrière le pied du chevalet, et à neuf lignes juste d’éloignement du point central de la table. Il est bien entendu que l’âme de l’alto ou du violoncelle est plus grande que celle du violon, mais dans les mêmes proportions. Les maîtres luthiers du Tirol et d’Italie avaient merveilleusement appliqué, dans la pratique, les lois qui président à la place de l’âme dans le violon, et à son rôle dans ta construction de l’instrument ; mais ce fut Savart qui le premier exposa la théorie des fonctions de l’âme. Pendant longtemps, on avait cru que non seulement l’âme servait à soutenir la table supérieure et l’aidait à supporter le poids des cordes, mais aussi que la sonorité de l’instrument dépendait uniquement de cette petite pièce de bois. Savart, par un procédé ingénieux, trouva moyen de fixer l’âme sur la table et non au dessous ; cette table perdit de sa solidité, mais la sonorité du violon n’en fit pas altérée. Le véritable office de l’âme est de mettre en communica-