Page:Grande Encyclopédie I.djvu/1198

Cette page n’a pas encore été corrigée

lanœ expeditionis, ne présente en aucun endroit le caractère d’annales rédigées au jour le jour ; il faut plutôt y voir une compilation faite postérieurement. — Sauf pour les événements qui se sont passés dans le voisinage d’Aix-la-Chapelle, c.-à-d. par exemple pour les préparatifs de la croisade et certains faits connexes, comme les massacres de juifs à Cologne et à Mayence, Albert n’a pu être témoin de ce qu’il rapporte, car il n’a jamais été en Palestine. Il dit lui-même à plusieurs reprises qu’il em f » runte certain renseignement aux récits oraux ou aux reations écrites de croisés revenus dans leur patrie. L’on doit admettre toutefois qu’il n’a pas fait grand cas des sources écrites, car nulle part il ne cite deux importantes histoires de la croisade, qui circulaient déjà de son temps : les Gesta Francorum et Yllistoria Francorum de Raimond d’Aiguilhe. — VHistoria Hierosolymitanœ expeditionis fut très connue au moyen âge. Guillaume de Tyr s’en est

Î>resque uniquement servi pour composer les six premiers ivres de sa grande Histoire de la guerre sainte. — Reineccius et Bongars l’ont éditée sans exprimer aucune opinion sur sa valeur historique. M. de Sybel, dans son Histoire de la première croisade, parue en 1841, en a, le premier, fait une étude critique. Il conclut que cette œuvre compilée en grande partie, d’après des sources absolument légendaires, ou d’après les relations de témoins le plus souvent mal informés, ne doit être utilisée qu’avec la plus grande circonspection. Jusqu’à ces dernières années le jugement de l’historien allemand avait fait autorité et jeté un grand discrédit sur Yllistoria Hierosalymitanœ expeditionis. En 1877, M. Pigeonneau, dans l’ouvrage intitulé : le Cycle de la croisade et de la famille de Bouillon, contesta la vérité de ce jugement et déclara qu’il considérait l’œuvre d’Albert comme l’un des documents les plus sûrs pour l’histoire de la première croisade. En 1879, M. Paul Meyer, auteur de la préface jointe au texte publié par l’Acad. des insc, tout en se rangeant d’une manière générale à l’opinion de M. de Sybel, montra ce que cette opinion avait de trop absolu. M. P. Meyer admet qu’Albert a fait un large usage des chansons de geste, et des romans d’aventures, nés des événements de la première croisade, que sa chronologie est insuffisante, qu’un grand nombre de ses récits sont inexacts ou même entièrement fabuleux, que sa narration a une apparence toute légendaire. Mais en même temps il pense que l’historien s’est servi de lettres envoyées d’Orient en Occident après chaque événement important, c.-à-d. qu’il a eu à sa disposition des documents historiques de premier ordre. 11 ne nie point qu’Albert ne soit « un écrivain dénué de précision et enclin aux récits merveilleux », mais il le juge « plutôt crédule qu’amplificateur et menteur ». Enfin tout récemment M. Rernard Kugler, dans deux articles de revue et dans un ouvrage de plus longue haleine, s’est élevé avec beaucoup de force contre les conclusions de M. de Sybel, conclusions que celui-ci avait intégralement maintenues dans la deuxième édit. de son livre, "parue en 1881. M. Kugler a dégagé du texte d’Albert tout ce qui, dans ce texte, est emprunté aux cycles légendaires et il a fait voir qu’en dehors de ces passages, généralement faciles à reconnaître, YHistoria Hierosolymitanœ expeditionis offre un tableau fidèle des événements, que par conséquent elle mérite de prendre rang parmi les meilleures sources de l’histoire de la première croisade. Si M. Kugler s’est parfois laissé entraîner un peu loin dans son travail de réhabilitation, on ne peut nier toutefois qu’il n’ait parfaitement mis en lumière les points sur lesquels l’u-uvre d’Albert mérite créance et l’exagération des critiques dont elle a été l’objet. Ch. Kohler.

Bibl. : Fabricius, Biblioth. mediæ et inf. latinit. ; Hambourg, 1734, in-8, t. I, pp. 101-102 ; Padoue 1754, t. I, p. 140. — Foppens, Biblioth. belgica ; Bruxelles, 1739, in-4, t. I, p. 40. — Cave, Scriptorum ecclesiasticorum historia litteraria ; Oxford, 1743, in-fol, t. II, p. 206. — Histoire littéraire de la France, par les bénédictins, t. X, 1756, pp. 277-278. — Ceillier, Histoire générale des auteurs ecclésiastiques ; Paris, 1757, in-4, t. XXI, pp. 157-158. — Le P. Lelong, Biblioth. histor. de la France ; Paris, 1769, in-fol. t. II, no 16635. — Struve, Selecta bibliotheca historica ; Leipzig, 1782, in-8, t. II, 2e part., p. 273. — Michaud, Bibliothèque des croisades ; Paris, 1829, in-8, t. I, pp. 43-48. — Sybel, Geschichte des ersten Kreuzzuges ; Dusseldorf 1811, in-8, pp. 62-107 ; 2e édit., Leipzig, 1881, in-8, pp. 62-107. — Bock, Albertus Aquensis Nicderrlicin .lahrbucher fur Geschichle, 1843, pp. 4298. — T. Tobleb, Bibliotheca geographica Palestinœ ; Leipzig, 1807, in-8, p. 13 — Wattenbach, Deutschlands Geschichtsquellen ; Berlin, 1873-1874, in-8, t. II, p. 125. — Pigeonneau, le Cycle de la croisade et la famille de Bouillon, thèse de la Fac. des lettres de Paris ; Saint-Cloud, 1877, in-8, p. 10. — H. Hagenmever, Peler der Eremite. Ein lirilisclier Beitrag zur Geschichle des i<e « Kreuzzuges ; Leipzig, 1879, in-8 ; version française par Furcy-Raynaud, sous le titre:Le vrai et le faux sur Pierre l’Hermile, analyse critique des témoignages historiques relatifs à ce personnage ; Paris, 1883, in-8.— Krebs, Zur Kritih AlbertsvonAachen ; Munster, 18S1, in-8. — B. Kugleb, Peter der Eremite und Albert von Aachen, dans His/or. Zeitschrifl, t. XLIV, p. 22.— Du même, Kaiser Alexius und Albert von Aachen, dans Forschungen zur deutschen Geschichte, t. XXIII, p. 481. — Du même, Albert von Aachen ; Stuttgard, 1885, in-8. ALBERT de Strasbourg (Albertus Argentinus), architecte du xiiie siècle. D’après une tradition des loges maçonniques (Bauhütten) de l’Allemagne, relatée dans des livrets professionnels de tailleurs de pierre (Steinmetzbüchlein), datant du xve siècle, Albert de Strasbourg aurait été un moine bénédictin et serait l’inventeur du style gothique ; il aurait vécu au xie siècle ; le pape Léon IX, lors de son voyage en Alsace, en 1050, l’aurait chargé de reprendre les travaux de la cathédrale de Strasbourg, interrompus en 1028, à la mort de l’évêque Werinhaire, et Erwin de Steinbach aurait été son disciple. Cette légende prouve la grande vénération que les livrets des tailleurs de pierre professent pour un personnage mystérieux, qui, selon toute vraisemblance, n’a vécu qu’au commencement du xiiie siècle, sinon plus tard, et qui, sous le nom d’Albertus Argentinus, a illustré la célèbre loge maçonnique de Strasbourg. Il avait la réputation de posséder les règles sacrées de l’architecture ; toujours est-il qu’il a été l’un des premiers architectes qui ont réuni en un corps de doctrine les principes d’architecture, que connaissaient seuls les initiés, pour les transporter du domaine sacré des loges religieuses des monastères dans le domaine laïque des associations bourgeoises. Albert appliquant à l’architecture les idées de Platon, de Pythagore et de Hermès Trismegiste, considère l’octogone avec un cercle inscrit comme le principe fondamental de l’art de construire et du style. Pour lui, le nombre huit est de la plus haute importance ; comme le double du nombre quatre, il est la signature de Dieu dans le monde visible. Sa doctrine, résumée par Gérard (les Artistes de l’Alsace au moyen âge, t. I, pp. 160 et suiv.), tout en se fondant sur les propriétés intrinsèques, sur les vertus attribuées au nombre huit, repose sur des principes scientifiques que l’art moderne respecte encore ; mais elle maintient les formes singulières, mystérieuses et cabalistiques affectionnées par les anciennes corporations et loges, qui croyaient à la vertu mystique des nombres réputés sacrés, et considéraient l’architecture comme un art sacré et secret, auquel le profane ne devait pas être initié. — On ne sait absolument rien sur la vie d’Albert de Strasbourg. Heideloff essaie de l’identifier avec Albert le Grand qui, vers l’an 1230, a séjourné à Strasbourg. Cette hypothèse n’a rien de vraisemblable.

Bibl. : Heideloff, Die Bauhütte des Mittelatters in Deutschland ; Nuremberg, 1844, in-4, pp. 14 et suiv. — Gérard, les Artistes de l Alsace pendant le moyen âge ; Colmar, 1872, t. I. — Tuefferd, l’Alsace artistique, dans Revue d’Alsace. 1882, pp. 449 et suiv.

ALBERT le Grand, maître Albert, « doctor universalis », un des principaux philosophes, théologiens et savants du moyen âge. Né à Lauingen, en Souabe, selon les uns l’an 1205, plus vraisemblablement en 1193, Albert de Bollstaedt étudia d’abord à Paris, puis à Padoue. Là, s’étant fait dominicain (1221), il quitta l’étude de la philosophie, des mathématiques et de la médecine, pour la théo-