Page:Grammont - Petit traité de versification française, 1908.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il résulte aussi des considérations précédentes qu’un bon rejet ne doit pas dépasser l’étendue d’une mesure ; si, dans l’alexandrin, il va rejoindre la coupe de l’hémistiche, l’effort se disperse et l’effet se perd.

L’enjambement et la rime. — La Harpe prétendait que nos vers ne peuvent pas enjamber, parce qu’ils riment. Au contraire, c’est la rime qui leur permet d’enjamber. Pour qu’on puisse enjamber, il faut que les fins de vers soient très nettes, sans quoi les vers tendent à se confondre avec de la prose. Ceux des Grecs et des Latins, qui ne rimaient pas, pouvaient enjamber parce qu’ils étaient fortement rythmés et que la fin du vers était toujours sensible ; dans les nôtres, où le rythme est faiblement marqué, c’est la rime qui contribue le plus à indiquer la fin du vers. Son utilité pour les enjambements est si vraie, que c’est le jour où les romantiques, en même temps qu’ils variaient le rythme de leurs vers, se donnèrent pleine liberté pour l’emploi de l’enjambement, qu’ils éprouvèrent le besoin de renforcer leurs rimes et réclamèrent la rime riche.

L’enjambement au xviie siècle. — Ce n’est que depuis Chénier que l’enjambement est devenu un procédé artistique d’usage courant dans tous les genres de poésie. Au xviie siècle il était presque exclusivement relégué dans les genres familiers, tels que la comédie, la fable. Racine, qui en a de délicieux dans Les Plaideurs, n’en présente qu’à peine un ou deux dans ses tragédies :

Mais tout n’est pas détruit, et vous en laissez vivre
Un… Votre fils, seigneur, me défend de poursuivre.

(Phèdre)