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les vers ordinaires on laisse tomber la voix à la fin de chaque vers, la voix reste soutenue et suspendue à la fin de ceux qui enjambent ; par là est éveillée l’attention de l’auditeur, qui reste dans l’attente tant que dure la pause ; puis comme la voix n’a pas baissé, elle doit, pour le rejet, augmenter d’intensité ou changer d’intonation.

Les bons enjambements. — Il résulte de là que l’enjambement ne doit être employé que rarement, et seulement quand le poète éprouve le besoin de produire un effet puissant ; que les meilleurs enjambements sont ceux dans lesquels la pause de la fin du vers est facilitée, afin que le rejet se détache le plus possible, comme dans cet exemple de Chénier :

L’entraîne, et quand sa bouche, ouverte avec effort,
Crie, il y plonge ensemble et la flamme et la mort.

(L’Aveugle)

C’est pourquoi celui-ci de Verlaine est de tous points détestable :

Il va falloir qu’enfin se rejoignent les
Sept péchés aux Trois Vertus Théologales.

Mais il ne s’ensuit nullement qu’un rejet constitué par l’épithète du substantif placé à la rime ne puisse pas être excellent :

Devant cette impassible et morne chevauchée,
L’âme tremble et se sent des spectres approchée,
Comme si l’on voyait la halte des marcheurs
Mystérieux que l’aube efface en ses blancheurs.

(Hugo, Éviradnus)

Rien n’empêche, même dans ce cas, de reprendre sa respiration à la fin du vers ; aussi bien c’est souvent la meilleure manière de très bien dire.