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Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d’eau sur de la mousse !

(Verlaine, Sagesse)

L’alternance et la prononciation. — L’alternance des rimes appelle une autre observation. Conforme à la définition que l’on en donne d’habitude (cf. p. 32), cette alternance était très réelle et très nette à l’époque où l’on prononçait tous les e à la fin des mots ; mais aujourd’hui on n’en prononce plus aucun à la pause ; la langue s’étant peu à peu transformée, ils ont disparu par évolution phonétique. En sorte qu’il n’y a plus la moindre différence sensible pour la finale entre bagarre et hasard, entre un dé et une idée. Si donc on veut conserver l’alternance, et il y a tout avantage à n’y renoncer qu’exceptionnellement et en vue d’effets particuliers, il ne faut pas prendre garde à l’orthographe, puisqu’elle ne répond plus à la prononciation. Il faut distinguer les rimes qui se terminent, dans la prononciation, avec la voyelle tonique, et celles qui se terminent avec une consonne suivant cette voyelle. Les premières peuvent être appelées masculines et les secondes féminines, si l’on tient à conserver ces deux termes ; aussi bien ces deux nouvelles catégories recouvrent dans la majorité des cas les deux anciennes.

Avec la prononciation actuelle du français, il n’y a pas d’alternance dans les deux strophes suivantes, qui sont toutes en rimes masculines :

Sur mes os consumés ma peau s’est desséchée ;
Les enfants m’ont chanté dans leurs dérisions ;
Seul, au milieu des nations,
Le Seigneur m’a jeté comme une herbe arrachée.