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tous les e devenus muets depuis, se prononçaient encore nettement, il y avait deux catégories de rimes bien distinctes pour l’oreille. Les unes se terminaient avec la syllabe même qui contenait la voyelle tonique ; les autres avaient après cette syllabe une autre syllabe contenant un e atone. Les premières sont appelées rimes masculines et les secondes rimes féminines, sur le modèle de la plupart des adjectifs et d’un grand nombre de substantifs, chez lesquels précisément le féminin se distingue du masculin par l’apparition d’une syllabe de plus contenant un e atone : petit, petite, chat, chatte.

L’alternance. — Or quand le hasard amenait à la suite l’une de l’autre toute une série de rimes masculines ou toute une série de rimes féminines, l’oreille éprouvait une impression d’uniformité désagréable parce que tous les vers finissaient sur une syllabe tonique ou au contraire sur une syllabe atone. Pour remédier à cet inconvénient certains poètes eurent l’idée, dès la fin du xve siècle, de faire alterner régulièrement les rimes féminines avec les rimes masculines ; puis, au xvie siècle, Ronsard érigea ce procédé en règle pour toute la poésie moins les poèmes lyriques en strophes ; enfin Malherbe en fit une règle absolue pour toute notre versification[1]. De cette ma-

  1. On a vu plus haut, dans le chapitre sur le compte des syllabes, p. 9, que les formes aient, soient des verbes avoir, être et les finales -aient des imparfaits et des conditionnels ne comptent que pour une syllabe dans l’intérieur des vers. Il en est de même à la fin des vers et elles constituent des rimes masculines :

    Ils marchaient à côté l’un de l’autre ; des danses
    Troublaient le bois joyeux ; ils marchaient, s’arrêtaient,
    Parlaient, s’interrompaient, et, pendant les silences,
    Leurs bouches se taisaient, leurs âmes chuchotaient.

    (Hugo, Contemplations)