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des vers anciens, supposent la prononciation de tous les e muets ; c’est donc fausser les vers construits suivant ces règles, qu’ils aient été écrits au xe siècle ou au xxe, que de les dire sans prononcer scrupuleusement tous les e qui comptent dans le nombre des syllabes. Cette faute, il est vrai, est souvent commise aujourd’hui, même dans nos premiers théâtres, où certains acteurs récitent les vers classiques comme si c’était de la prose contemporaine. On doit se garder de les prendre pour modèles, car ils détruisent par leur diction tout l’art que l’auteur a mis dans la forme de son œuvre.

L’e après voyelle. — Tandis qu’en ancien français, sauf à la fin du vers et à la césure, tout e comptait pour une syllabe, aujourd’hui il ne compte plus jamais après une voyelle atone ; tu joueras ne fait que trois syllabes ; il en faisait quatre à l’origine. Cet usage moderne a commencé à s’établir au xive siècle.

Après une voyelle tonique, comme dans prie, pries, prient, il ne compte pas davantage, mais le mot qui le possède n’est pas admis à l’intérieur d’un vers, sauf dans le cas où son e peut s’élider, et s’il est placé à la fin du vers il y constitue une rime féminine. En ancien français cet e ne soulevait aucune difficulté, puisqu’il comptait partout pour une syllabe, conformément à la prononciation. Mais du jour où il a cessé de se faire entendre, on s’est trouvé dans l’alternative embarrassante de le compter pour une syllabe, c’est-à-dire d’en exiger la prononciation dans le débit du vers, ou, d’autre part, de renoncer à l’emploi dans l’intérieur du vers de catégories tout entières de mots et de formes.