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rabbins d’enseigner, que les Juifs fussent empêchés de voyager ou de se montrer dans la rue, que les plus forts d’entre eux fussent soumis à des corvées et contraints de manier la hache, la bêche et autres instruments de dur labeur. À l’exemple de Jean Eck, son ennemi, il déclarait que les Juifs se livraient à toute sorte d’excès parce qu’ils étaient trop heureux en Allemagne.

Il peut paraître surprenant que Luther, d’abord si bienveillant pour les Juifs, se soit ensuite montré contre eux aussi violent que leurs pires ennemis. C’est que, vers la fin de sa vie, le réformateur de Wittemberg eut à supporter des contrariétés qui l’aigrirent profondément. Par son obstination et son caractère autoritaire, il avait froissé bien des susceptibilités dans son propre milieu et créé un schisme parmi ses partisans. En outre, sa rude nature avait triomphé peu à peu de la modestie et de la douceur que lui avait d’abord su imposer sa ferveur religieuse. Enfin, son esprit étroit de moine ne pouvait pas comprendre le judaïsme avec ses lois généreuses et élevées, qui ont pour but de rendre l’homme bon et compatissant plutôt que de faire de lui un croyant fanatique, et il s’emportait quand l’un ou l’autre de ses adhérents, comme Carlstadt et Münzer, invoquaient ces lois pour défendre leurs conceptions : par exemple, l’affranchissement des esclaves et des serfs dans l’année du jubilé. Sa colère fut surtout grande quand il eut connaissance d’un dialogue, composé probablement par un chrétien, où le judaïsme était placé presque au-dessus du christianisme. Dans son irritation, il écrivit immédiatement (1542) un pamphlet : Sur les Juifs et leurs mensonges qui dépassait en violence et en calomnies toutes les œuvres de Pfefferkorn et de Jean Eck.

Après avoir fait observer au commencement de cet écrit qu’il avait pris la résolution de ne plus parler des Juifs, Luther dit qu’il a changé d’anis devant les tentatives de ces misérables coquins pour attirer à eux des chrétiens. Sa logique est absolument celle du moyen âge. Comme les Juifs étaient maltraités et persécutés depuis dix siècles par les chrétiens, il en conclut que les Juifs étaient ainsi châtiés parce qu’ils ne croyaient pas que le Messie fût vraiment déjà arrivé. Il engage les chrétiens à ne pas se montrer