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Turcs étaient alors en guerre avec les Crétois, le grand vizir Koeprili crut prudent de ne pas laisser Sabbataï dans la capitale, où, en son absence, il aurait pu provoquer des désordres. Il le fit interner au château de Kostia, près des Dardanelles. Sa captivité y fut douce, car il put garder ses amis auprès de lui. Samuel Primo resta naturellement avec Sabbataï, dont les partisans donnèrent à ce château le nom de Migdal Oz, Tour de la puissance.

Arrivé aux Dardanelles la veille de la fête de Pâque, Sabbataï fit égorger pour lui et ses compagnons un agneau, en souvenir de l’agneau pascal, et en mangea même les parties prohibées par la loi de Moise. C’était déclarer ouvertement qu’il avait le droit d’abolir les anciennes prescriptions. Grâce aux subsides qu’il recevait de sa famille et de riches partisans, il put organiser au château de Kostia une vraie cour, où il trôna comme un souverain. D’innombrables bateaux lui amenaient sans cesse des visiteurs de tous pays, qui revenaient éblouis de ce qu’ils avaient vu et propageaient ensuite leur enthousiasme pour le Messie. Presque tous les Juifs étaient convaincus que Sabbataï était le Sauveur annoncé et que l’heure de la délivrance définitive sonnerait au plus tard dans un délai de deux ans. Dans les principales villes de commerce où les Juifs occupaient le premier rang, à Amsterdam, à Livourne, à Hambourg, les affaires subirent un ralentissement considérable, parce qu’on s’attendait à de profonds changements. Les communautés d’Europe s’inspiraient de l’exemple de celle d’Amsterdam, et celle-ci avait à sa tête des chefs qui, pour la plupart, étaient de fidèles partisans du faux Messie. À Venise, il y eut conflit entre les amis et les adversaires de Sabbataï, et un de ces derniers faillit être tué. Quand on demanda à Sabbataï comment on devait traiter les hoferim (incrédules), il déclara qu’il était permis de les tuer même le jour du sabbat, et que le meurtrier serait assuré de la vie future. À Hambourg, de pieux protestants allèrent demander conseil au prédicateur Esdras Edzard au sujet de la conduite qu’ils devaient tenir : Nous avons appris, dirent-ils, non seulement par les Juifs, mais aussi par nos correspondants chrétiens de Smyrne, d’Alep, de Constantinople et d’autres villes de la Turquie que le nouveau Messie des