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au milieu de toute cette agitation et conserver la direction du mouvement.

Sabbataï voulait attendre quelque temps à Smyrne avant de se proclamer Messie, mais il dut bientôt céder à l’impatience de ses disciples et à l’enthousiasme de la foule. En septembre ou en octobre 1665, au son des trompettes, il déclara à la synagogue qu’il était le Messie attendu. On accueillit cette déclaration avec des transports d’allégresse ; de tous côtés on l’acclama : Vive notre roi, vive notre Messie ! Toute la communauté smyrniote, hommes, femmes et enfants, semblèrent atteints de folie. Tous se préparèrent à retourner dans la Terre Sainte. Toutes les affaires furent négligées, on ne se préoccupa plus que de la délivrance prochaine. Pour s’en rendre dignes, bien des Smyrniotes s’imposèrent les plus douloureuses macérations, jeûnant plusieurs jours de suite, veillant plusieurs nuits consécutives, faisant des ablutions pendant les froids les plus rigoureux, s’ensevelissant dans la terre jusqu’au cou. D’autres se livraient à des démonstrations de joie, surtout quand Sabbataï parcourait les rues en chantant des psaumes ou prêchait dans les synagogues sur sa mission. Chacune de ses paroles était mille fois répétée, interprétée, vénérée comte venant de Dieu même, chacun de ses actes était admiré comme un miracle. Ses partisans allaient jusqu’à marier leurs enfants de douze et même de dix ans, pour permettre au reste des âmes qui n’avaient pas encore été employées d’aller habiter des corps et pour hâter ainsi, d’après les doctrines cabalistiques, la venue de l’époque messianique.

La séduction exercée par Sara aidait aussi au succès de Sabbataï et lui gagnait des partisans. Du reste, dans ces moments de surexcitation générale, les mœurs, d’habitude si sévères chez les Juifs, se relâchaient beaucoup. Enivrés par la perspective de l’arrivée du Messie, hommes et femmes rompaient les barrières qui, en Orient surtout, établissaient entre eux une séparation si complète, ils dansaient ensemble et oubliaient toute réserve. Les protestations étaient étouffées sous les clameurs de la multitude. Le rabbin Aron de la Papa, honnête et digne vieillard, qui s’était élevé énergiquement contre ces extravagances et avait excommunié le Messie, dut subir les injures de Sabbataï,