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ou d’arides écrits philosophiques, ne connaissaient même pas, Rossi résolut de traduire en hébreu la Lettre d’Aristée.

Mais c’est surtout dans sa Lumière des Yeux (en hébreu, Meor Enayim), composée en 1575, que dei Rossi déploie ses rares qualités d’érudit et de critique sagace. 11 compare dans ce livre les passages parallèles du Talmud et d’ouvrages profanes sur des points d’histoire et d’archéologie, et il arrive à ce résultat inattendu que bien des assertions du Talmud, acceptées par les coreligionnaires de son temps comme l’expression même de la vérité, ne supportent pas un examen sérieux. Ce livre, si hardi pour l’époque, scandalisa bien des Juifs. À Safed, il fut déclaré hérétique, et Joseph Karo chargea Élisée Galico, membre de son collège rabbinique, de rédiger un réquisitoire contre cet ouvrage et de conclure à la nécessité de le brûler. Cette condamnation devait être signifiée à tous les Juifs, mais Karo mourut (avril 1575) avant d’avoir signé cet arrêt. D’un autre côté, les Italiens, qui connaissaient Rossi comme un homme sincèrement croyant et d’une grande dignité de vie, refusaient de le mettre en interdit. Les rabbins de Mantoue se contentèrent d’appliquer à la Lumière des Yeux la sentence prononcée autrefois par Ben Adret contre la littérature profane, ils en défendirent la lecture aux jeunes gens âgés de moins de vingt-cinq ans.

Dans les milieux chrétiens, l’ouvrage de Rossi fut apprécié à sa valeur ; il fut commenté et traduit en latin. Mais chez les Juifs, principalement dans certains pays, les extravagances cabalistiques avaient alors trop de partisans et le rigorisme exagéré trop d’adeptes pour qu’on pût se rendre compte des qualités de ce livre. En effet, dans les trente dernières années du XVIe siècle, la Cabale s’était emparée de tous les esprits en Palestine, suscitant des apparitions de spectres et provoquant des exorcismes. De là, elle se répandit en Turquie, en Pologne, en Allemagne et en Italie, troublant les esprits et les cœurs, stigmatisant comme hérétique toute pensée saine, toute vérité scientifique. De nouveau, comme à l’origine du christianisme, la Galilée, et notamment la région de Safed, se peupla de démons et de possédés qui révélaient des mystères et nécessitaient des conjurations. Ce fut une époque de folie cabalistique, ce fut, pour le judaïsme, le moyen âge, avec ses