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furent contraints de faire escale dans le port de Gènes, pour des réparations urgentes. Les autorités permirent aux Juifs de descendre à terre et de séjourner, non pas dans la ville même, mais près du môle, jusqu’à ce que les navires pussent reprendre la mer. On vit alors débarquer les malheureux Juifs d’Espagne, hâves, décharnés, les yeux profondément enfoncés dans les orbites, plus semblables à des cadavres qu’à des êtres vivants. Poussés par la faim, les enfants se rendaient dans les églises et se faisaient baptiser pour un morceau de pain, et des chrétiens étaient assez durs, non seulement pour accepter de pareilles conversions, mais encore pour se promener parmi les Juifs, la croix dans une main et du pain dans l’autre, et amener, par ce moyen, de nouvelles recrues au christianisme ! Par suite de la difficulté des réparations, le séjour des Juifs se prolongea à Gènes jusque dans le cœur de l’hiver ; les conversions et les souffrances de toute sorte éclaircirent alors de plus en plus leurs rangs. Dans d’autres ports italiens, les exilés ne furent même pas autorisés à descendre quelques heures à terre, soit parce que cette année était précisément une année de disette, soit parce que la peste sévissait parmi eux.

Quand ceux des exilés qui s’étaient arrêtés à Gènes en purent repartir, leur nombre était fortement réduit. Ils se rendirent à Rome. Là, une nouvelle déception, plus amère encore, les attendait. Leurs propres coreligionnaires, par crainte de la concurrence, essayèrent de s’opposer à leur établissement à Rome ; ils offrirent 1.000 ducats au pape Alexandre VI, pour qu’il refusât de recevoir les nouveaux arrivants. Bien qu’en général ce pontife ne péchât pas par excès de scrupules, il fut quand même tellement outré de la dureté des Juifs de Rome pour leurs malheureux coreligionnaires d’Espagne qu’il ordonna de les chasser. La communauté de Rome fut obligée de verser 2.000 ducats pour faire annuler le décret d’expulsion et de laisser les fugitifs espagnols s’établir librement à Rome.

Corfou, Candie, et d’autres îles grecques encore reçurent également un fort contingent de proscrits juifs d’Espagne. Les uns y vinrent de leur plein gré, les autres y furent amenés comme esclaves. Dans la plupart des communautés de ces îles, on fit les plus louables efforts pour secourir les nécessiteux et racheter les