masque du christianisme et cachés sous le nom de nouveaux chrétiens. Ils prêtèrent leur aide, dans la mesure de leurs moyens, à leurs frères bannis, acceptant d’eux en dépôt de l’or et de l’argent et leur envoyant, à l’occasion, ces métaux précieux par des personnes de confiance, ou leur donnant en compensation des lettres de change sur des places étrangères. Quand le roi en fut informé, il fit rechercher et confisquer ces richesses en dépôt ; il empêchait aussi par tous les moyens le payement des lettres de change. Mais, malgré les difficultés et les dangers, bien des Marranes persistaient dans leur sympathie pour les Juifs et poursuivaient de leur rancune, avec une impitoyable rigueur, ceux qui s’étaient montrés durs pour les malheureux proscrits ; ils les accusaient d’hérésie et les livraient aux inquisiteurs, les frappant ainsi de leurs propres armes. Par contre, ils étaient obligés, eux, pour ne pas trahir leur attachement secret au judaïsme, de manifester extérieurement un zèle plus vif pour la religion chrétienne, prodiguer en toute circonstance les signes de croix, égrener force chapelets et marmotter force patenôtres.
Parfois, devant cette nécessité constante de dissimuler, les sentiments secrets des Marranes faisaient explosion malgré eux, triomphant de leur volonté et se manifestant par des paroles imprudentes. C’est ainsi qu’à Séville, à la vue d’une statue qui devait représenter Jésus et qu’on offrait à l’adoration des fidèles, un Marrane s’écria : Qu’ils sont malheureux ceux qui se voient condamnés à voir de pareilles choses et à y croire ! De telles manifestations fournissaient à l’Inquisition d’excellents prétextes pour arrêter et juger non seulement le coupable, mais aussi ses proches, ses amis et tous les Marranes qui possédaient quelque fortune. Par la même occasion, on donnait également satisfaction à la foule, dont le spectacle fréquent des exécutions avait émoussé la sensibilité, et qui tenait à assister de temps à autre à ces solennels autodafés. Il n’est donc pas étonnant que dans l’espace de quatorze ans, sous la direction de l’inquisiteur général Thomas de Torquemada (1485-1498), les tribunaux d’inquisition aient livré au moins deux mille Juifs aux flammes.
Torquemada n’ignorait pas que sa cruauté lui avait attiré de nombreuses haines, et il craignait sans cesse pour sa vie. Sur sa table