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leur satisfaction n’était pas complète. Ils étaient troublés dans leur quiétude par la présence des Marranes, fils et petits-fils de Juifs qui, pour sauver leur vie, avaient dû se couvrir du masque du christianisme. Ces Marranes ou nouveaux chrétiens, arrivés aux plus hautes situations dans l’État et l’Église et devenus riches et puissants, avaient contre eux, d’une part, les vrais chrétiens, qui enviaient leur prospérité et leur influence, et, de l’autre, les dominicains, qui ne croyaient pas à la sincérité de leurs convictions et leur reprochaient de saper les fondements de l’Église. Des deux côtés on s’efforçait d’humilier, sinon d’exterminer ces Juifs déguisés. On avait bien essayé, déjà, de les perdre sous le règne du faible Henri IV, mais sans y réussir. Maintenant, avec une reine dévote et fanatique comme Isabelle, le succès paraissait plus assuré.

À Séville, quand le couple royal reçut les hommages de ses sujets, les adversaires des Marranes remarquèrent avec un profond dépit que, malgré les massacres de Tolède, de Cordoue et d’autres villes, les nouveaux chrétiens occupaient encore, en grand nombre, de très hautes charges, et que plusieurs d’entre eux étaient évêques. Il leur semblait que toute la cour fût d’origine juive. Les dominicains recommencèrent donc avec une nouvelle ardeur leurs excitations contre les hérétiques. L’un d’eux, Alfonso de Ojeda, prieur du couvent Saint-Paul de Séville, parla avec horreur à la reine de la perversité des nouveaux chrétiens et de leurs blasphèmes contre le christianisme. Isabelle ajouta foi à toutes ces accusations. On put même lui faire accroire que Dieu ne lui avait donné le pouvoir que pour lui permettre de guérir l’Espagne chrétienne de la lèpre juive. On racontait aussi qu’étant infante, elle avait fait vœu, sous la pression de Thomas de Torquemada, son confesseur, de consacrer sa vie, une fois montée sur le trône, à l’extermination des hérétiques. Le moment était donc favorable pour réaliser l’idée, qui hantait depuis quelque temps l’esprit du clergé, de créer un tribunal chargé de juger les chrétiens judaïsants et de faire exécuter les condamnés. Sur les instances de Ferdinand et d’Isabelle, le pape Sixte IV promulgua une bulle (1478) autorisant le couple royal à nommer comme inquisiteurs des ecclésiastiques, qui auraient le pouvoir de