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Ferrus, Juif baptisé, lança des traits sans nombre contre le rabbin et la communauté d’Alkaïa.

Ces satires, dont les conséquences étaient souvent fâcheuses pour les Juifs, rendirent un service signalé à la poésie espagnole. Grâce à l’esprit caustique de quelques nouveaux chrétiens, cette poésie, jusqu’alors raide et solennelle, devint plus vive, plus alerte, pétillant de bonne humeur et de gaieté, comme autrefois la poésie néo-hébraïque en son beau temps. Car les Juifs convertis trouvèrent peu à peu _des imitateurs parmi les poètes chrétiens, qui s’approprièrent la manière et quelquefois les mots plaisants et les traits acérés de leurs modèles. À l’exemple du moine Diego, de Valence, apostat juif, qui mêlait des mots hébreux à ses satires contre les Juifs, le satirique chrétien Alphonse Alvarez de Villasandino, surnommé le prince des poètes, émaillait très habilement ses poésies de termes spécialement juifs. Il se passait donc ce fait singulier qu’au moment où l’Espagne persécutait les Juifs, sa poésie se judaïsait. Ainsi, les Juifs, en se baptisant, ne fournirent pas seulement à la chrétienté des hommes de talent de tout genre, des écrivains, des médecins et des poètes, ils l’enrichirent également de leurs biens et de leur esprit.

Parmi les Juifs convertis, il s’en rencontra qui déployèrent un vrai zèle de dominicain à faire des prosélytes, comme s’ils se sentaient isolés au milieu de leurs nouveaux coreligionnaires et avaient besoin d’attirer leurs anciens amis au christianisme pour se créer une société. C’est ainsi que le médecin apostat Astruc Raimuch de Fraga, auparavant un des plus fermes appuis du judaïsme, faisait une propagande chrétienne très active, sous le nom de Francisco Dioscarne. Il désirait surtout avec ardeur l’abjuration d’un de ses jeunes amis, auquel il adressa une lettre en hébreu pour lui montrer dans quel état d’abaissement se trouvait le judaïsme et pour lui prouver la vérité des dogmes chrétiens. On ressent une impression assez étrange en lisant cette épître, où l’on voit l’auteur employer des centons bibliques pour parler de la Trinité, du péché originel, de la Rédemption et de la Cène. L’ami auquel cette lettre était adressée y répondit par des faux-fuyants et en termes très modérés. Il savait qu’aux attaques les plus violentes, les Juifs ne pouvaient répliquer qu’avec douceur, pour ne