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à mes paroles, dit-il, tandis que les Juifs restent sourds à mes prophéties, et, au lieu de calculer la valeur numérique du nom de Dieu, ils aiment mieux supputer leurs richesses. À côté d’autres ouvrages, il publia plus de vingt-deux écrits prophétiques qui, tout en étant l’œuvre d’un fou, furent quand même utilisés plus tard par les cabalistes.

Déjà de son vivant, les agissements d’Aboulafia eurent de très fâcheuses conséquences. À son exemple, deux visionnaires espagnols, l’un dans la petite ville d’Ayllon, en Ségovie, l’autre dans la communauté importante d’Avila, se firent passer pour prophètes et annoncèrent, dans leur jargon, la venue du Messie. Tous les deux firent des dupes. Mais les Juifs d’Avila et d’autres communautés, sceptiques à l’égard de cette annonce, demandèrent conseil, comme précédemment leurs coreligionnaires de Sicile, à Salomon ben Adret. Tout en ayant un faible pour la doctrine secrète, le rabbin de Barcelone ne croyait néanmoins qu’aux miracles rapportés par la Bible et le Talmud. Il déclara donc qu’il considérerait le prophète d’Avila comme un simple imposteur si des hommes dignes de foi ne portaient témoignage en sa faveur. Il ajouta que, malgré ces attestations, il n’admettrait jamais que cet homme fût un prophète, parce qu’il n’était pas placé dans les conditions de temps et de lieu qui seules, d’après le Talmud, donnent aux prophéties un caractère d’authenticité ; car, pour qu’un prophète soit vraiment inspiré de Dieu, il faut qu’il vive en Palestine et dans un temps où les hommes sont dignes de la bienveillance divine, ce qui n’était pas le cas pour le prétendu prophète d’Avila. Enfin, l’esprit de Dieu ne repose jamais sur un ignorant ; il n’est pas admissible qu’un homme se couche sot et ignorant le soir et se réveille prophète le lendemain matin.

Sans tenir compte de l’opposition du plus remarquable rabbin de l’Espagne, le prophète d’Avila continua sa propagande et annonça qu’au dernier jour du quatrième mois (1295) commencerait la délivrance. La foule, crédule et ignorante, se préparait à la venue du Messie par le jeûne et la distribution d’abondantes aumônes. Au jour fixé, elle s’habilla comme à la fête de l’Expiation, se rendit à la synagogue, et là elle essaya de percevoir le son des trompettes qui devaient annoncer la délivrance messianique. Attente inutile. Rien