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que les Juifs doivent vivre, et vivre dans l’abjection et la misère, pour la plus grande gloire du christianisme.

Mais si Innocent III voulait qu’on laissât la vie sauve aux Juifs, il ne les en détestait pas moins. Ainsi, il reprocha (1205) sa bienveillance pour les Juifs au roi de France Philippe-Auguste, qui, cependant, les avait pillés, emprisonnés, expulsés, et ne les avait rappelés dans son pays que pressé par des besoins d’argent ! Je suis affligé, écrit-il à ce souverain, de voir des princes préférer les descendants des déicides aux héritiers du crucifié, comme si le fils de l’esclave pouvait hériter du fils de la femme libre. J’ai appris qu’en France les Juifs se sont approprié par l’usure les biens de l’Église et des chrétiens ; que, contrairement à la décision du concile de Latran tenu sous Alexandre III, ils engagent des nourrices et des domestiques chrétiens ; que les tribunaux n’acceptent pas le témoignage des chrétiens contre les Juifs ; que la communauté de Sens a construit une nouvelle synagogue qui dépasse en hauteur l’église voisine, et où les prières sont récitées, non pas à voix basse, comme avant l’expulsion, mais à voix tellement haute que les offices des chrétiens en sont troublés ; et enfin que les Juifs sont autorisés à se montrer en public pendant la semaine de Pâques, dans les villes et les villages, et à détourner les fidèles de leur foi. Innocent III répète aussi cette odieuse calomnie que les Juifs égorgent secrètement des chrétiens, et il enjoint à Philippe-Auguste de traiter les Juifs avec rigueur et, en général, d’exterminer les hérétiques de son pays.

La même année (mai 1205), le pape adressa une lettre sévère à Alphonse le Noble, roi de Castille, parce que ce prince tolérant ne voulait pas permettre aux ecclésiastiques d’enlever aux Juifs leurs esclaves musulmans pour les baptiser, ni contraindre les Juifs et les musulmans à payer la dîme au clergé. En cas de désobéissance, le roi de Castille était menacé de la censure ecclésiastique. Innocent III avait, en effet, décrété, dans l’intérêt des prêtres, que les Juifs, possesseurs de terres, fussent contraints de payer la dîme comme les chrétiens. Comme il ne pouvait pas excommunier les récalcitrants, il prononçait l’anathème contre les chrétiens qui auraient des relations avec eux.

Voici enfin une autre lettre, adressée au comte de Nevers (