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Et pourtant, cette inscription ne célèbre qu’une partie des mérites du poète castillan. Juda Hallévi était l’image radieuse de la nation juive ayant conscience d’elle-même et proclamant, par la poésie et la philosophie, l’histoire de son passé et ses rêves d’avenir.


CHAPITRE V


La deuxième croisade et la première accusation de meurtre rituel dirigée contre les Juifs
(1148-1171)


Sous les deux rois capétiens Louis VI et Louis VII, les Juifs de France jouissaient, pendant la première moitié du XIIe siècle, comme autrefois sous Louis le Débonnaire, d’une situation prospère. Une large aisance régnait parmi eux, ils possédaient non seulement des maisons, mais aussi des champs et des vignes, qu’ils cultivaient eux-mêmes ou faisaient cultiver par des serviteurs chrétiens. On raconte même, non sans exagération, que la moitié de la ville de Paris, encore peu importante à cette époque, appartenait à des Juifs. Les communautés juives étaient reconnues comme des corporations indépendantes et avaient à leur tête un chef, portant le titre de prévôt et chargé de représenter leurs intérêts vis-à-vis des chrétiens. Le prévôt de chaque ville était élu par les Juifs, et son élection était ratifiée par le roi ou le baron qui avait droit de suzeraineté sur la ville. Les Juifs étaient reçus à la cour et occupaient divers emplois. Jacob Tain, la plus grande autorité rabbinique du temps, était très estimé du roi.

Grâce à la sécurité qui leur était ainsi assurée, les savants juifs du nord de la France pouvaient continuer l’œuvre commencée par Raschi. Arraché par la mort à la tâche qu’il avait entreprise, le chef d’école de Troyes laissa de nombreux disciples, qui, à l’exemple de leur maître, s’appliquaient avant tout à comprendre et à expliquer le Talmud. Dans leur amour pour la vérité, ils ne craignaient pas de soumettre même les explications de Raschi à la