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couplement d’éléments si opposés produisit des systèmes difformes et monstrueux. La vieille question de l’origine du mal et de la possibilité d’en concilier l’existence avec l’idée d’une Providence juste et miséricordieuse passionnait tous ceux que les apôtres chrétiens avaient familiarisés avec la pensée judaïque. On ne croyait pouvoir résoudre cette question qu’en imaginant une nouvelle conception de Dieu, dont les éléments étaient empruntés aux systèmes religieux les plus divers. La connaissance de Dieu, de ses rapports avec le monde et la vie religieuse et morale fut appelée gnose, et ceux qui croyaient être en possession de cette connaissance se nommaient eux-mêmes des gnostiques, c’est-à-dire des hommes supérieurement doués qui ont pénétré les mystères de l’harmonie universelle. Les gnostiques ou, pour mieux dire, les théosophes flottaient entre le judaïsme, le christianisme et le paganisme, c’est à ces trois religions qu’ils avaient emprunté leurs idées, leurs conceptions et leurs raisonnements, et ils se recrutaient parmi les Judéens, les chrétiens et les païens. La doctrine gnostique exerça sans doute une sorte de fascination sur les esprits, puisque les autorités de la Synagogue et de l’Église furent obligées de multiplier les lois et les ordonnances contre la gnose, et que, malgré tout, elles ne purent empêcher certaines idées et formules gnostiques de pénétrer çà et là dans les esprits juins et chrétiens. La gnose s’était répandue en Judée, en Égypte, en Syrie, dans l’Asie Mineure, et surtout dans la capitale du monde, à Rome, où tous les systèmes religieux, toutes les théories trouvaient des partisans. Les gnostiques s’exprimaient dans un langage mystico-allégorique qu’ils empruntaient très souvent à des professions de foi judaïques et chrétiennes, mais qu’ils détournaient de son sens primitif. Les doctrines de quelques sectes gnostiques montrent clairement l’étrangeté et la bizarrerie de ce mouvement. Ainsi, les membres d’une secte se nommaient Caïnites, parce que, par opposition aux récits bibliques, ils plaçaient le meurtrier Caïn au-dessus d’Abel sa victime. Les Sodomites pervertis, le sauvage Ésaü, Coré, cet ambitieux en révolte, étaient des personnages que certains gnostiques jugeaient dignes de leur estime et de leur vénération. C’est ce même esprit de révolte contre la Bible qui donna naissance à une autre secte, celle des Ophites ou Naasites,