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Par suite de cette transformation dans la doctrine des judéo-chrétiens, il était fatal que la scission devînt complète entre eux et les Judéens. Le moment devait forcément arriver où les Ébionites comprendraient eux-mêmes qu’ils n’appartenaient plus à la communauté judaïque, et où ils s’en sépareraient complètement. La lettre de divorce adressée par le judéo-christianisme à la communauté mère existe encore ; elle prescrit aux partisans judaïtes de Jésus de s’éloigner totalement de leurs anciens coreligionnaires. L’Épître aux Hébreux explique, d’après la méthode aggadique de l’époque, que le Messie crucifié a été à la fois la victime qui expie et le prêtre qui absout ; elle montre que la Loi considère comme particulièrement agréables à Dieu les sacrifices dont le sang était aspergé dans le Saint des saints et la chair brûlée en dehors du camp (du temple). L’épître continue ainsi : « Et c’est pour racheter les péchés du peuple par son sang que Jésus a subi la mort en dehors des portes de Jérusalem. Sortons donc du camp (de la communauté juive) pour aller vers Jésus et supporter une partie de son opprobre ; ici, nous n’avons plus la cité éternelle (Jérusalem, symbole de la nation judaïque) ; allons à la recherche de la cité de l’avenir. » Lorsque les Nazaréens et d’autres sectes judéo-chrétiennes se furent définitivement séparés des Judéens, ils conçurent contre le judaïsme et ses adeptes une haine acharnée ; à l’instar des pagano-chrétiens, ils les poursuivirent de leur mépris et de leurs outrages. Comme la loi écrite avait pour eux aussi un caractère sacré, ils dirigèrent surtout leurs traits acérés contre les Tannaïtes et leur étude des lois traditionnelles, sur laquelle se portait, à cette époque, toute l’activité de la pensée juive. Chez les Ébionites comme chez les Judéens, on était habitué à juger tous les événements qui se présentaient au point de vue de l’Écriture sainte et à trouver à leur sujet des allusions et des explications dans les écrits des prophètes. C’est ainsi que les Nazaréens appliquèrent aux Tannaïtes, qu’ils appelaient Deuterotes, et principalement aux deux écoles de Schammaï et de Hillel, ces paroles de blâme et de menace du prophète Isaïe (viii, 14) : « Il sera un écueil et une pierre d’achoppement pour les deux maisons d’Israël. » « Par les deux maisons, dirent-ils, le prophète désigne les deux écoles de Schammaï et de Hillel, d’où sont sortis