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avec quelque savant pour l’assommer. Les compagnons ne faisaient rien pour élever jusqu’à eux ces gens grossiers, ils multipliaient, au contraire, les barrières qui les séparaient de leur ordre. Non seulement ils évitaient tout commerce avec eux, mais ils n’acceptaient pas leur témoignage, leur refusaient le droit de tutelle et ne leur confiaient jamais aucune fonction dans la communauté.

Tenus à l’écart de la partie civilisée de la population judaïque, exclus de toute participation à la vie administrative de la communauté, privés de tout ce qui aurait pu contribuer à leur relèvement, livrés à leurs propres inspirations, sans guide et sans conseiller, les plébéiens devaient forcément répondre à l’appel du christianisme naissant. Jésus et ses disciples s’étaient adressés de préférence à ces gens du peuple, si abandonnés et si méprisés, ils avaient recruté parmi eux la plupart de leurs partisans. Ces misérables, méconnus par les hommes et repoussés par la loi, étaient heureux des témoignages de sympathie que leur accordaient les apôtres chrétiens. Ces derniers les visitaient, mangeaient et buvaient avec eux, leur affirmaient que le Messie était venu et était mort uniquement pour eux, afin de les faire jouir des biens dont ils avaient été privés jusque-là, et surtout afin de leur assurer la béatitude dans un monde meilleur. La loi leur déniait les plus simples droits, et le christianisme leur ouvrait le royaume du ciel ! Ils ne pouvaient pas hésiter dans leur choix. Les docteurs, absorbés par l’étude de la Loi et par la constante préoccupation de conserver intacte la doctrine judaïque, virent se dresser tout à coup devant eux, sur leur propre terrain, un ennemi qui se disposait à conquérir le domaine spirituel sur lequel ils avaient veillé avec un dévouement fidèle et une ardente sollicitude.

À la mort de Jésus, les partisans du christianisme, au nombre de cent cinquante à deux cents, avaient constitué une communauté qui s’était rapidement développée sous la vigoureuse impulsion des principaux apôtres, et surtout de Paul. Celui-ci avait conçu, pour faciliter l’extension du christianisme, un projet fécond et facilement réalisable : il s’était efforcé de gagner les païens à la morale judaïque en leur inculquant la croyance à la résurrection de Jésus, et de convaincre les Judéens de l’insuffi-