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tout simplement : « Il était mort. » Quelques années plus tard, Abbahu aurait peut-être payé de sa vie la franchise de ses paroles et la justesse de son argumentation.

Abbahu était modeste, doux et bienveillant. Quand il dut recevoir l’ordination, il se retira devant Abba d’Akko et il exprima le désir qu’on accordât cette dignité à ce dernier pour l’aider à s’acquitter d’une dette qui pesait sur lui. Un autre fait prouve encore sa grande bienveillance. Il fit un jour des conférences dans une ville en même temps que Hiyya ben Abba ; celui-ci traita des questions de casuistique, et Abbahu des sujets d’édification. Les conférences d’Abbahu, semées d’anecdotes, d’historiettes, de jeux de mots, eurent naturellement plus d’attrait pour la foule et attirèrent un auditoire plus nombreux que les dissertations arides de Hiyya. Voyant son collègue s’affliger de l’indifférence que montrait le peuple pour son enseignement, Abbahu le consola en ces termes : « Les matières que tu enseignes sont comme des pierres précieuses qui ne peuvent être appréciées que par de rares connaisseurs, tandis que les sujets que moi je développe ressemblent à du clinquant, qui frappe tous les regards. » Cette anecdote a un intérêt historique, elle montre qu’à cette époque on commençait à négliger en Judée l’étude sévère, difficile et aride de la Loi pour les causeries légères de l’Aggada. — Abbahu se défendait même contre l’éloge qu’on faisait de sa modestie : « Ma modestie tant vantée, dit-il un jour, est bien inférieure à celle de mon collègue Abba d’Akko ; celui-ci permet à son meturgueman (porte-parole) d’ajouter ses propres réflexions aux développements qu’il lui ordonne de faire entendre à la foule. » On voit par ce dernier fait qu’on ne professait plus le même respect qu’autrefois pour l’enseignement des docteurs. Le meturgueman ne se contentait plus d’être simplement l’organe, le porte-parole de celui qui enseignait, il exposait en même temps ses propres idées. Aussi accusait-on les meturguemanim de ne s’acquitter, en général, de leur fonction que par vanité, pour faire admirer leur belle voix ou leur facilité d’élocution, et on leur appliquait ce verset : « Mieux vaut la parole sévère du sage que le chant du sot. » Voici, enfin, un dernier fait qui montre l’indulgence inaltérable d’Abbahu, et jette en même temps une certaine lumière sur les mœurs de cette époque.